Après l’abandon (provisoire) des TAFTA et CETA, faisons capoter le TiSA!

TAFTA et CETA sont mal en point. Mais les milieux d’affaire et leurs serviteurs à la Commission européenne et dans les gouvernements ont d’autres fers au feu, et tout d’abord le TiSA (Trade in Services Agreement).

Le Conseil européen du 18 octobre à Luxembourg a finalement renoncé à se prononcer sur le traité de libre-échange euro-canadien – le CETA.

Ce report ou cet abandon fait suite à la suspension des négociations de son grand frère euro-étasunien – le TAFTA. Les peuples, grossièrement écartés de ces négociations, ont donc remporté deux batailles contre la prise de pouvoir des multinationales, aidées par la Commission européenne et la plupart des gouvernements nationaux, le nôtre en premier. C’est donc une victoire de la démocratie, ce processus « qui sans cesse arrache aux gouvernements oligarchiques le monopole de la vie publique et à la richesse la toute-puissance sur les vies » comme le dit Jacques Rancière.

Ces deux projets de traités longuement préparés par les milieux d’affaire font partie d’une longue suite de traités de libre-échange qui sont en fait des traités d’allégeance aux multinationales ou des traités de liberté des affaires. Sans revenir sur les plus de 3000 traités bilatéraux, notons les grands traités multilatéraux : le traité nord-américain ALÉNA en vigueur depuis 1994, l’Organisation mondiale du commerce ou OMC depuis 1995, l’Accord multilatéral sur l’investissement ou Ami et la Zone de libre-échange des Amériques ou ZLÉA, tous deux abandonnés en 1998, puis l’Accord commercial anti-contrefaçon dit Acta abandonné en 2010, enfin l’Accord de partenariat transpacifique signé en février de cette année mais pas encore ratifié. Des 3 projets de traités euro-africains avec l’Afrique de l’Ouest, l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe, seul ce dernier a été signé récemment bien que les négociations soient terminées depuis plus de 2 ans ; quant à la ratification…

Avec le report ou l’abandon des traités transatlantiques, on voit que la bataille est rude au niveau mondial entre les peuples et les oligarchies sous prétexte de commerce.

La prochaine bataille : faire capoter le projet d’Accord sur le commerce des services (ACS ou TiSA pour Trade in Services Agreement en anglais) dont les négociations ont débuté en février 2012 et pourraient se terminer en décembre de cette année.

Cinquante pays sont concernés dont l’Union européenne et les États-Unis, représentant les deux tiers du commerce mondial, en écartant soigneusement tous les grands pays émergents.

Objectif : ouvrir totalement les activités tertiaires à la concurrence internationale et empêcher toute intervention publique ; plus précisément :

  • programmer la fin des services publics par leur privatisation à terme,
  • mettre en place une institution, appelée « forum de coopération réglementaire », donnant un large pouvoir aux multinationales pour freiner les réglementations qui leurs déplaisent et pousser celles qui augmentent leurs bénéfices, et enfin donner aux multinationales étrangères l’accès exclusif à une ‘justice’ privée pour arbitrer leurs différends envers les États, en fait une pseudo-justice qui bafoue les principes fondamentaux d’un droit juste et équitable.

Et tout ceci pour quel bénéfice socio-économique ? Aucune étude d’impact prospective n’a été publiée, mais les études d’impact menées pour les autres grands traités de libre-échange montrent au plus des impacts positifs dérisoires, au pire des impacts très négatifs en termes d’emplois, de PIB, et de répartition des richesses.

Santé, environnement, climat, transports, droit du travail, culture, finances – qui dépendent largement des services – sont les cibles de cet Accord sur le commerce des services ou Tisa : dans tous ces domaines, les citoyens en pâtiront. Tous ? non, car l’infime minorité des actionnaires des multinationales verra ses revenus bondir et surtout son pouvoir encore s’étendre, au détriment de la démocratie.

Le secret des négociations est absolu et on comprend pourquoi au vu du contenu et des conséquence de ce traité. Le silence des médias sur l’un des plus importants traités de libre-échange en discussion est impressionnant, malgré les fuites dues à WikiLeaks. C’est aux citoyens d’agir : comme ils ont pu faire reculer l’AMI, la ZLÉA, l’ACTA et maintenant le TAFTA et le CETA,

c’est maintenant au TiSA qu’il nous faut nous attaquer jusqu’à son abandon.

 


Traité transatlantique (TAFTA / TTIP ) : la CLCV hors TAFTA !

Traité transatlantique (TAFTA) : la CLCV hors TAFTA !

Plusieurs dénominations désignent le projet de « grand marché transatlantique », qu’elles soient anglophones (TAFTA – Trans Atlantic Free Trade Agreement ; TTIP – Transatlantic Trade and Investment Partnership) ou francophones (PTCI – Partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement).
L’objectif officiel de ce projet de traité de libre-échange entre les USA et l’Union européenne est de libéraliser les échanges commerciaux entre les deux parties en éliminant les droits de douane et en harmonisant les normes culturelles, économiques, sociales et environnementales.
Le 13e cycle de négociations s’est ouvert à New York le lundi 25 avril 2016. Le président américain s’est rendu en Europe le 24 avril pour reprendre l’offensive en vue de la signature du TAFTA à l’automne 2016 avant son départ de la Maison Blanche.
L’événement nouveau, c’est la diffusion de 248 pages confidentielles le mai 2016 par Greenpeace (soit la moitié du projet de traité).
Cette fuite heureuse permettra enfin aux citoyens et à la société civile de juger sur pièces un texte que la Commission européenne a toujours refusé de diffuser alors que les lobbies économiques, eux, sont partie prenantes des négociations.

Revue de la question en six points :

1- Déficit démocratique
Le 14 juin 2013, le Conseil de l’Union Européenne (chefs d’Etats et de gouvernements) a donné mandat à la Commission Européenne d’ouvrir des négociations avec les États-Unis en vue d’aboutir à un accord transatlantique pour créer le plus vaste marché du monde. Les négociations sont menées depuis cette date par la Commissaire en charge du commerce international, Cecilia Malmström, sur ce mandat qui n’a été rendu public que partiellement et tardivement (en octobre 2014 avec la nouvelle Commission européenne).

De plus, les négociations qui se déroulent par étapes (Miami en novembre 2015, Bruxelles en mars 2016, New York en avril 2016) ne sont pas accessibles au grand public. Les textes ne peuvent être consultés par les députés européens que dans certaines salles, une fois déposés les téléphones portables et sous la surveillance d’un fonctionnaire (sic !) … Notons que pour autant, 78 % des députés européens ont validé le principe du traité en 2013. Pour la Commission européenne, les citoyens et les élus n’ont donc qu’à rester chez eux. Le commerce international, c’est l’affaire de quelques technocrates…
Certes, la Commission de Bruxelles a organisé le 6 juillet 2014, pour répondre aux critiques, une consultation par internet en invitant les citoyens à donner leur opinion sur 12 aspects du traité. Mais cette consultation, d’une part, ne permettait pas de manifester son opposition au projet et, d’autre part, ne portait que sur la mise en place du dispositif de règlement des conflits (voir point n° 2) ! De toute façon, la Commissaire au commerce a refusé de prendre en compte les 150 000 réponses négatives, jugeant qu’il ne s’agissait que d’une seule et même réponse !

Pour la CLCV, ce secret est inadmissible et antidémocratique. Ce mandat ainsi que tous les textes négociés doivent être rendus publics et mis au débat ! A l’heure où beaucoup de citoyens s’interrogent sur le déficit démocratique donc souffre l’Union, cette position ne fait que renforcer les euro-sceptiques.

2- Un libre-échange qui s’appelle déréglementation des droits des consommateurs pour le plus grand profit des entreprises
Cet accord de libre-échange vise à constituer un marché commun de 820 millions de consommateurs qui pèserait 45 % du PIB de la planète. Mais cet accord ne porte pas principalement sur les droits de douane, car les droits de douane moyens entre les deux zones sont aujourd’hui très faibles (de l’ordre de 2 % seulement : 5,2 % en Europe contre 3,5 % aux USA), même s’il y a des pics tarifaires : par exemple, les USA imposent des taxes de 22 % sur les produits laitiers de l’Europe et l’Union européenne protège l’agriculture avec des droits de douane de 13%.
En réalité, l’objet de l’accord c’est en priorité l’élimination des barrières dites non tarifaires, c’est-à-dire la réduction, voire la suppression des normes sociales, culturelles, écologiques, sanitaires et d’hygiène dont les USA (et en premier lieu leurs multinationales) ne veulent pas car elles sont selon eux un obstacle à la libre concurrence et la liberté des exportations.
Or, il faut rappeler que la France et l’Europe disposent d’un niveau élevé de protection des consommateurs approuvé par le parlement européen et les pouvoirs publics français. C’est le résultat de batailles menées au fil des ans par les organisations de consommateurs.

Ces acquis pourraient être remis en cause, et notamment :

* en matière alimentaire :
– l’étiquetage le plus complet possible des produits notamment alimentaires (composition, origine…) : par exemple, aux USA, n’importe quel producteur peut choisir de qualifier sa production d’un nom européen (Champagne, Porto, etc.).
– l’interdiction d’utiliser l’hormone de croissance dans les élevages ;
– l’interdiction du poulet nettoyé au chlore, utilisé couramment aux USA ! ;
– l’interdiction de la culture des OGM aujourd’hui banalisée aux USA ;
– le faible niveau de pesticides ;
– les indications géographiques et appellations d’origine contrôlée (plusieurs centaines) ; A noter que dans le CETA (traité en cours de ratification entre Canada et Europe), sur 50 AOP laitières seules 28 sont reconnues…) ;

* dans le domaine de la santé :
– les produits génériques ;

* dans le domaine des services publics :
– les services d’urgence pourraient être privatisés ;
– le statut des caisses primaires d’assurance maladie pourrait être contesté au nom de la concurrence ;
– certains services de l’Éducation nationale seraient remis en question (cantines scolaires et universitaires)
– le champ des services publics pourrait être fortement réduit ;
– l’eau pourrait être privatisée : remise en question des sociétés publiques locales (par exemple de l’eau, comme à Brest) ;

* dans le domaine de l’énergie :
– liberté totale des prix du gaz et de l’électricité ;
– l’interdiction de la fracturation hydraulique pour exploiter le gaz de schiste serait considérée comme une atteinte au droit de l’entreprise.

Toutes ces règles et spécificités françaises et européennes pourraient être condamnées comme « barrières commerciales illégales ». La Commission européenne nous dit bien sûr que l’on ne touchera pas au mieux-disant européen, mais nous n’avons aucune garantie que les normes de protection actuelles ne seront pas réduites dans le temps. C’est en tout cas ce qui se passe avec d’autres accords commerciaux : c’est la réglementation la plus protectrice qui, au fil du temps, est tirée vers le bas.
Il faut aussi dire qu’aujourd’hui, on sent déjà comme un effet pré-TAFTA dans les dernières décisions de l’Union européenne :
– adoption de la directive sur le secret des affaires deux jours avant son adoption par les USA ;
– renouvellement de l’autorisation du glyphosate (molécule présente dans le Round up de Monsato) ;
– nouvelles études pour analyser les perturbateurs endocriniens, alors que la décision devait être prise en 2013 et que l’inaction de la Commission européenne a été condamnée par la Cour de justice en décembre 2015.
Par ailleurs, le principe de précaution européen (art. 191 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) n’est pas évoqué dans les 248 pages qui ont fuité. Que dit ce principe ? Si les données scientifiques ne permettent pas une évaluation complète du risque présenté par des produits, le recours à ce principe permet par exemple d’empêcher la distribution ou même de retirer du marché des produits susceptibles d’être dangereux. En revanche, le principe américain fondé sur le risque et les dommages a posteriori et qui vise à gérer les produits dangereux plutôt que à les éviter est inclus dans le document.

Pour la CLCV, les principes français et européens, fruit de luttes et négociations historiques, sont des acquis essentiels. Ils sont désormais partie intégrante de nos valeurs, de notre culture, de notre héritage commun. Ils protègent les consommateurs-citoyens qui ne peuvent accepter que ces droits soient tirés vers le bas ou simplement supprimés. A la Commission européenne de se battre pour maintenir un haut niveau de protection des consommateurs. Certes, la Commission européenne a annoncé qu’elle ne baisserait pas ses exigences en ce qui concerne les normes sanitaires et d’hygiène. Mais les consommateurs devront être vigilants sur cette question et refuser catégoriquement toute déréglementation.

3- Des tribunaux privés qui bafouent l’indépendance de la justice et la démocratie
C’est le point le plus contesté par la société civile. Les litiges existants seraient portés par les entreprises lésées par les décisions des Etats devant un tribunal arbitral supranational qu’on appelle « ISDS ». Dans les nombreux accords de libre-échange existant dans le monde, une telle juridiction privée est en général composée de trois arbitres : l’un représentant le demandeur, l’autre le défendeur, le troisième étant choisi d’un commun accord par les deux parties, en général sur une liste proposée par des instances arbitrales privées (Chambre de commerce internationale de Paris, Chambre de commerce de Stockholm ou Centre international pour le règlement des différends de Washington). Un même arbitre peut remplir successivement les trois missions…

Ce système est déjà mis en œuvre dans de nombreux accords bilatéraux et au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) depuis 1985, où la légitimité de l’Organe de règlement des différends (ORD) est aujourd’hui largement contestée. Quant à l’OMC, elle est complètement contournée par les accords bilatéraux et dépassée par la montée en puissance des pays émergents.

Cette procédure n’est donc pas indépendante (d’ailleurs les arbitres ne sont soumis à aucune déontologie). Elle est opaque au plus haut point et coûteuse (1 000 € l’heure d’un arbitre !). Enfin, elle ne peut être contestée en appel.

Selon les statistiques fournies par l’ONU, 60 % des affaires arbitrées sur le fond ont une issue favorable aux entreprises privées. En fait, « les Etats ne gagnent jamais. Ils peuvent seulement ne pas perdre. Seuls les investisseurs obtiennent des dommages et intérêts… » (Howard Mann, CNUCED, 24 juin 2015).

Pour ce qui est du TAFTA, ce sont les articles 23 et 27 du mandat donné par le Conseil européen qui évoquent ce tribunal : « L’accord devrait viser à inclure un mécanisme de règlement des différends investisseurs/Etats efficace et des plus modernes … l’accord sera obligatoire pour toutes les institutions ayant un pouvoir de régulation et les autorités compétentes des deux parties ».

Cette justice privée qui dit le droit à la place des institutions démocratiques permet de se soustraire aux juridictions nationales dont un pays s’est librement doté et pose problème, notamment au regard de la Constitution française. Des Etats ont donc demandé le retrait pur et simple du mécanisme de règlement de la négociation.

Pour faire face à la double contestation (société civile et questionnement du parlement européen et de parlements nationaux), la Commission européenne a organisé en 2014 une consultation sur les modalités du mécanisme de règlement qui a reçu 150 000 réponses, à 97 % hostiles à l’ISDS.
La Commission européenne a alors proposé un nouveau mécanisme de règlement se composant d’une cour publique (Cour des investisseurs), ce qui ne change rien au fond du problème puisque la souveraineté locale pourrait toujours être remise en cause au nom d’intérêts économiques et financiers. A travers ces traités, on assiste à la naissance d’une nouvelle hiérarchie des valeurs et des normes où le droit privé économique l’emporte sur les droits démocratiques sociaux environnementaux.

Pour la CLCV, cette procédure arbitrale privée ou publique qui se place d’emblée au-dessus des lois des Etats ne respecte pas le droit démocratique des peuples à disposer de leur destin. Elle est totalement inacceptable. Faut-il rappeler qu’une instance de coopération réglementaire pourrait voir le jour dans le cadre du traité et qu’elle ferait pression sur les parties pour que les législations respectives respectent l’accord de libre-échange ! La Commission européenne doit s’y opposer catégoriquement !

4- Des principes et des accords internationaux absents ou qui sont remis en cause dans le projet de traité !
– Pas de référence au principe européen de précaution comme nous l’avons vu précédemment
– Pas de référence à la règle « Exceptions générales » de l’accord du GATT de l’Organisation mondiale du commerce qui permet aux pays d’encadrer le commerce « pour protéger la vie animale et végétale, la santé humaine et la conservation des ressources naturelles épuisables »
– Pas de référence à l’accord international de Paris dans le cadre de la COP 21 (objectif affiché de moins de 1,5° de réchauffement) suppose des révisions majeures des émissions de gaz à effet de serre auquel les relations commerciales doivent être soumises.

5- Des créations d’emploi bien aléatoires
Il y a derrière ce traité l’idée que la « libéralisation » absolue des échanges sera créatrice d’emploi. C’était déjà l’objectif de l’accord de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1994. Selon une étude, l’accord permettrait de créer 2 millions d’emplois entre les USA et l’Europe, dont 121 000 en France. Mais selon une autre étude demandée par la Commission européenne, les gains de croissance par rapport au PIB seraient minimes : de 0,1 à 0,5 % en 10 ans en Europe ! D’autres études estiment que le gain serait nul puisque les échanges entre les pays européens diminueraient au profit des USA… En tout état de cause, les études de la Banque mondiale et de la CNUCED démontrent qu’on ne peut établir un lien statistique entre ce genre de traité et la croissance des investissements.

6- Les prises de position des pouvoirs publics et le mouvement citoyen contre le TAFTA
Rappelons que le 22 mai 2014, l’Assemblée nationale a adopté une résolution sur le TAFTA qui rappelle les lignes rouges fixées par la France (OGM, traitement des poulets au chlore, bœuf aux hormones, réglementation des produits chimiques), refuse tout ajustement par le bas de la qualité des législations en matière d’environnement, de sécurité et de santé, ainsi que tous tribunaux privés qui se substituent à la souveraineté nationale, et demande enfin la transparence des négociations menées.

Le Secrétaire d’État au Commerce extérieur, Mathias Fekl, a proposé que le tribunal privé soit remplacé par une cour internationale publique et annoncé (journal Sud-Ouest du 27 septembre 2015) que la France envisageait toutes les options, y compris l’arrêt pur et simple des négociations transatlantiques qui se passent dans un manque total de transparence et dans une grande opacité, ce qui pose un problème démocratique. Enfin, il a considéré que « le parlement français aura le dernier mot », considérant qu’il ne s’agit pas là d’une compétence exclusive de l’Union européenne. Deux sujets clés pour la France : la réciprocité commerciale (c’est-à-dire l’ouverture réciproque des marchés publics, ceux de la France étant plus ouverts) et la reconnaissance des indications géographiques qui protégerait certaines productions agricoles.

Dans une résolution adoptée le 3 février 2015, le Sénat a reproché au gouvernement et à l’Europe un déficit démocratique dans la gestion des négociations sur le TAFTA. Il demande au gouvernement de corriger le tir pour que la sécurité et les intérêts des consommateurs restent la priorité des négociations et que l’harmonisation des règles n’affecte pas la santé des consommateurs et ne mette pas en cause les normes de qualité exigibles.
Le Président de la République, qui avait en 2014 approuvé le traité, a déclaré lors d’un colloque le 3 mai 2016 : « Jamais nous n’accepterons la mise en cause des principes essentiels pour notre agriculture, notre culture pour la réciprocité et pour l’accès aux marchés publics ».

Mais surtout, la société civile et les collectivités locales se mobilisent comme en témoigne l’ampleur que prend le mouvement « hors TAFTA » en France comme en Europe :
– Une grande pétition européenne (ICE) « Stop TAFTA » a recueilli 3,3 millions de signatures dans 14 pays différents.
– Plus de 200 000 personnes ont manifesté le 15 octobre 2015 à Berlin puis en avril 2016 à Hanovre contre le TAFTA, pays où seuls 17 % approuvent encore le traité. Le parlement wallon refuse la signature du TAFTA.
– En France, 650 collectivités (1 600 en Europe) se déclarent « hors TAFTA ». IL est vrai que le traité remettrait en cause les prérogatives des collectivités locales fixées par la Constitution !
14 conseils régionaux, 22 départements et plus de 550 communes ont manifesté leur vigilance, voire demandé l’abandon des négociations TAFTA :
* régions : Ile de France, PACA, Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, Picardie, Nord-Pas de Calais, Franche-Comté, Champagne-Ardennes, Pays de Loire, Poitou-Charentes, Corse…
* départements : Hérault, Seine-Saint-Denis, Corrèze, Somme, Pyrénées Atlantiques, Dordogne, Essonne, Yonne, Allier, Val de Marne, Deux Sèvres, Haute Saône, Nièvre, etc
* communes : Dunkerque, Cherbourg, Grenoble, Périgueux, Dieppe, Saint-Herblain, Poitiers, etc.
* et dans le Finistère : Trégunc, Saint-Jean-Trolimon, Botmeur, Saint-Yvi, Berrien, Huelgoat, Carhaix, La Feuillée, Motreff, Bannalec, Guipavas, Pouldreuzic, Quimper, etc. Brest est en vigilance hors TAFTA.
Les 21 et 22 avril 2016, une rencontre à Barcelone d’une quarantaine de villes européennes hors TAFTA a adopté une déclaration anti-TAFTA.

***
En conclusion, l’enjeu de ces négociations dont le terme est annoncé pour la fin 2016 (fin de mandat du président américain) est certainement, au-delà du marché commun transatlantique, d’imposer un jour à l’ensemble de la planète ces normes communes qui auraient été négociées de part et d’autre de l’Atlantique. C’est pourquoi l’Union européenne ne doit céder ni sur le haut niveau de protection des consommateurs, ni sur le tribunal arbitral.

La CLCV considère que, face à un tel projet, les consommateurs et les citoyens doivent se mobiliser car si le Conseil européen peut autoriser la signature d’un accord négocié par la Commission libérale de Bruxelles, seul le Parlement européen (qui sur le principe a déjà donné son accord) peut le ratifier. Par ailleurs, comme ce projet traite de compétences dites partagées, le projet devrait aussi être ratifié par les parlements des 28 Etats de l’Union européenne. La Cour de justice de l’UE va être saisie pour trancher ce point majeur.

Compte tenu notamment du secret dans lequel se déroulent les négociations, du caractère inacceptable du mécanisme de règlement des conflits, de la remise en question du fort niveau de protection des consommateurs dont nous disposons actuellement, la CLCV demande l’arrêt des discussions sur le TAFTA. Elle estime, avec le Bureau européen des unions de consommateurs dont fait partie la CLCV, qu’un traité n’est pas nécessaire si les parties veulent vraiment faire progresser une coopération volontaire.


Les TTIP-leaks révèlent les dangers de la coopération réglementaire

les dangers de la coopération réglementaire

Le TTIP (traité de libre-échange transatlantique) a déclenché un tollé général au sein de la population européenne. En mettant sur la place publique de nombreux éléments du TTIP, Greenpeace nous a permis de prendre connaissance de la position états-unienne dans les négociations et de voir nos pires craintes se confirmer.

Non seulement le TTIP instaure des tribunaux parallèles privés qui permettraient aux multinationales d’empocher beaucoup d’argent publique pour les « dédommager » de l’adoption de décisions démocratiques, mais il fait encore peser une autre menace sur la législation protégeant les intérêts publics : la coopération réglementaire (ou « convergence », terme souvent employé aux États-unis d’Amérique). La coopération réglementaire entend mettre en conformité les normes existant de part et d’autre de l’océan Atlantique en modifiant les mécanismes législatifs européens et états-uniens.

Les positions de l’Union européenne comme des États-Unis d’Amérique montrent que la coopération réglementaire pose problèmei. L’analyse de Corporate Europe Observatory est arrivée à une double conclusion préoccupante : tout d’abord que les normes transatlantiques seront principalement élaborées à huis clos par un nombre restreint d’acteurs : les grandes entreprises, les autorités de régulation états-uniennes et la Commission européenne ; deuxièmement, des responsables non élus sont prêts à poursuivre le sacrifice de nos règles démocratiques et de nos protections sociale et environnementale, entendez par là de bonnes conditions de travail ou l’innocuité de nos produits, sur l’autel du commerce.

Le pouvoir aux grandes entreprises

La coopération réglementaire permet aux grandes entreprises de remanier les législations actuelles, à venir et même de manière rétroactive les législations passées.

Les propositions de l’Union européenne, par exemple, donnent des droits importants aux parties impliquées.ii Profitant du déséquilibre des pouvoirs à Bruxelles et sur la base d’autres dialogues transatlantiques antérieurs,iii les grandes entreprises s’approprieront l’essentiel de l’espace politique réservé aux parties prenantes de la coopération réglementaire.

La Commission européenne est notamment prête à offrir aux grandes entreprises le droit d’initiative dans le processus de coopération, autrement dit celui de proposer une nouvelle loi sur laquelle les autorités états-uniennes et européennes devraient se pencher.iv Dans les faits, cela donne aux groupes de lobbying toute la latitude pour définir l’ordre du jour politique dans le domaine extrêmement vaste de la réglementation des biens et services. Les révélations de Greenpeace ont fait apparaître que les deux autorités ont aussi l’intention d’aller plus loin dans ce sens en donnant aux groupes de lobbying le pouvoir de demander aux autorités européennes et états-uniennes d’adopter, d’amender ou de rejeter une réglementation.v Un chèque en blanc à l’industrie pour qu’elle s’en prenne aux lois qui ne lui conviennent pas.

Prenons l’exemple du CEFIC, groupe de lobbying européen de l’industrie chimique (Conseil Européen de l’Industrie Chimique). Ce groupe serait en mesure de proposer la simplification de certaines parties de REACH, la législation européenne relative aux produits chimiques (Registration, Evaluation, Authorisation and Restriction of Chemicals) pour la rendre moins contraignante. En effet, le CEFIC et la Commission européenne réduiraient volontiers le « fardeau »vi imposé par REACH. La possibilité pour les grandes entreprises de suggérer de « simplifier » et d’alléger ce que l’on qualifie de « fardeau » réglementaire fait d’ailleurs partie des propositions européennes.vii

Le fait que REACH soit couvert par la coopération réglementaire est contraire à la résolution du Parlement européen sur le TTIP de juillet 2015 qui impose que REACH et sa mise en oeuvre soient exclus du TTIP puisque les lois sont très différentes de l’autre côté de l’Atlantiqueviii. Voilà qui prouve le peu de considération dont les responsables du commerce, qui seront en charge du processus de coopération réglementaire, font preuve envers les exigences parlementaires.

Si une réglementation fait l’objet d’une controverse, les grandes entreprises pourrait se contenter d’attendre que le public cesse de s’inquiéter avant de relancer à huis clos le débat avec les responsables du commerce. Les grandes entreprises sont donc bien armées pour ruiner les progrès réglementaires dans le domaine de la santé publique, de la protection de l’environnement, de la justice climatique, etc. si elles estiment qu’ils sont « trop coûteux » pour elles.

Le gouvernement états-unien s’en mêle

Outre les grandes entreprises, le gouvernement états-unienix va jouir de pouvoirs importants qui lui permettront de participer au processus législatif européen. Ils lui permettront notamment de donner son avis sur les lois européennes et ce très en amont de leur élaboration.

Nous avons déjà été témoins des conséquences désastreuses de l’intervention réglementaire du gouvernement états-unien. Pour mémoire, un dialogue entre l’Union européenne et les États-unis a considérablement retardé l’adoption de l’interdiction des tests cosmétiques sur animaux. A l’origine, cette interdiction aurait dû être adoptée avant 1998 mais le dialogue réglementaire entre les gouvernements européens et états-unien l’a repoussée de 15 ans. L’interdiction totale n’est effectivement entré en vigueur qu’en 2013.x

Les processus législatifs bruxellois sont opaques. Loin de les rendre plus transparents, la Commission européenne donne à l’industrie le pouvoir de décider seule de l’ordre du jour, sans plus d’égards pour les citoyens.

Les bénéfices pour le commerce priment sur les coûts pour la société

La coopération réglementaire prendra la forme de dialogues réguliers entre les régulateurs sur les législations présentes et à venir, se concentrant sur le commerce et en étroite collaboration avec les grandes entreprises.

Ces dialogues réglementaires transatlantiques interviendront à une étape très précoce du processus législatif, bien avant que le Parlement européen ou les gouvernements des États membres n’aient la chance de se saisir de ces questions,xi si l’on se réfère aux propositions de l’Union européenne. Cette demande découle en fait d’une proposition qui a été mise sur la table lors d’un déjeuner réunissant la Chambre de commerce des États-unis et la Commission européenne à Washington en novembre 2013.xii

Si, dès le tout début du processus législatif, les responsables perçoivent le monde comme un marché et qu’on leur rappelle sans cesse combien le message des grandes entreprises et du gouvernement états-unien est important, la législation ne tiendra sûrement pas compte des besoins environnementaux ou sociétaux. De plus, si les grandes entreprises sont rapidement averties des projets législatifs, elles peuvent mettre en place une puissante stratégie de lobbying pour les soutenir ou s’y opposer, en fonction de leurs propres intérêts.

Par ailleurs, les propositions de la Commission européenne amènent l’évaluation des impacts des lois vers une étroite analyse des coûts et bénéfices.xiii Jusqu’à présent, les évaluations d’impact ont débouché sur des niveaux de protection plus élevés dans l’Union européenne qu’aux États-unis d’Amérique en matière d’exposition à des produits chimiques dangereux, de conditions de travail, d’information des consommateurs, de la protection de données, etc. Néanmoins, ces nouvelles évaluations d’impacts européennes s’intéresseront de plus près aux coûts supportés par le monde des affaires et moins aux avantages qu’une loi offre à l’ensemble de la société. Ces nouvelles évaluations agiront également de manière rétrospective,xiv ce qui revient à dire que périodiquement les lois existantes seront réévaluées à la lumière des nouveaux critères favorisant les intérêts des entreprises.

Afin de s’assurer que ces évaluations seront favorables aux grandes entreprises et aux intérêts nationaux, le gouvernement états-unien est également prêt à leur accorder un droit supplémentaire : celui de pouvoir commenter les évaluations d’impact.xv

Ces évaluations d’impact devront enfin tenir compte de la « necessité » d’une nouvelle loi.xvi Il s’agit là d’une décision politique forte, prise par des responsables du commerce n’étant pas issus des urnes, qui constitue une nouvelle arme formidable permettant aux grandes entreprises de remettre en question une loi qui serait restrictive pour le commerce et donc non-nécessaire.

Protections sociale et environnementale revues à la baisse

En observant plus en détail le futur fonctionnement de la coopération réglementaire, on découvre les risques qu’elle présente pour la législation protégeant les intérêts publics. Si l’on s’intéresse aux conséquences de cette coopération, la situation est encore plus préoccupante.

Dans l’Union européenne, confrontés à un danger et à l’incertitude, les décideurs européens doivent faire preuve de précaution. Ce principe de précaution explique, par exemple, pourquoi la liste des produits chimiques considérés comme toxiques est plus longue en Europe qu’aux États-Unis d’Amérique. Ce principe de précaution n’est pas clairement protégé dans le cadre de la coopération réglementaire.

Cela s’explique par le fait qu’un des objectifs de la coopération réglementaire est la reconnaissance mutuelle,xvii c’est-à-dire que les législations états-unienne et européenne soient reconnues comme équivalentes. Par conséquent, la législation de l’Union européenne fournira un cadre suffisant aux grandes entreprises pour qu’elles exportent leurs services et leurs produits aux États-Unis d’Amérique et vice-versa.

Dans le cas des produits cosmétiques, à titre d’exemple, la reconnaissance mutuelle a été envisagée par la Commission européenne. L’Union européenne a interdit 1328 substances dans les produits cosmétiques. Aux États-Unis d’Amérique, seules 11 sont interdites. La reconnaissance mutuelle dans le domaine des cosmétiques permettra à des magasins de l’Union européenne de vendre des produits cosmétiques états-uniens contenant des produits chimiques illégaux, en Europe, d’après un entretien avec la Commission européenne.xviii

L’exemple de cette reconnaissance mutuelle montre la manière dont l’Union européenne est prête, dans le but de mettre en place un marché transatlantique, à abandonner ses principes fondamentaux conçus pour protéger la santé de sa population et son environnement. En mars 2015, sous la pression publique, la Commission européenne a été contrainte de retirer de sa proposition la reconnaissance mutuelle dans le secteur des produits cosmétiquesxix dans le TTIP. Bien qu’elle ne soit plus présente dans le chapitre sur les cosmétiques du TTIP, elle figure toujours dans le chapitre sur la coopération réglementaire du TTIP.

Qui plus est, l’harmonisation est aussi un objectif de la coopération réglementaire,xx ce qui signifie que les régulateurs états-uniens et européens devront se mettre d’accord sur des normes et des réglementations communes. En tenant compte du processus de coopération réglementaire, tel que nous venons de le décrire, il est hautement probable que les régulateurs fassent un choix a minima entre deux normes possibles, voire se prononcent pour une absence de norme.

L’harmonisation a été demandée par le groupe de lobbying états-unien et européen du secteur des pesticides qui a su faire entendre sa voix au sein des propositions européennes. Ce groupe cherche à harmoniser les niveaux maximales des pesticides qui peuvent être présents dans les aliments vendus dans l’Union européenne et aux États-unis d’Amérique,xxi ce qui expose encore plus les consommateurs, l’environnement et les paysans aux produits chimiques.xxii

Les plus puissants raflent la mise

Les propositions de l’Union européenne et des États-Unis d’Amérique se complètent. Elles indiquent, sans l’ombre d’un doute, qui a le plus à perdre et qui a le plus à gagner dans le TTIP. D’une part, ce traité commercial modifiera la manière dont nous créons les lois, en donnant plus de pouvoir à des responsables du commerce qui n’ont pas été élus : le Secrétariat général de la Commission européenne et la DG Commerce, en ce qui concerne l’Union européenne. Cette direction générale tend à reléguer au second plan des questions telles que la santé publique, la protection des consommateurs ou de l’environnement, sans parler de la justice climatique.

D’autre part, certains acteurs auront moins de poids dans le cadre de la coopération réglementaire, à savoir le Parlement européen et les États membres. Toutes les lois en découlant devront être transposées dans le cadre législatif national par les 28 capitales de l’Union européenne. Au final, cela affaiblira non seulement les États membres face aux grandes entreprises et à la Commission européenne, mais réduira aussi directement la capacité des citoyens à décider de leur avenir.

Voilà la menace la plus grave que fait peser la coopération réglementaire : celle d’attaquer directement la démocratie et de faire le triompher l’idéologie affirmant que ce qui est bon pour les grandes entreprises est bon pour la société. Il s’ensuit que les gagnants (les grandes entreprises) raflent la mise, au détriment de notre santé, de notre bien-être et de notre environnement.

Comme nos amis d’outre-Atlantique ne cessent de le répéter : « Europe, prends garde ! Les révélations faites sur le texte du TTIP confirment que les États-Unis d’Amérique tentent d’exporter l’échec de son modèle réglementaire. »xxiii L’Union européenne est déjà prête à l’importer en faisant ainsi un « cadeau qui n’arrête pas de rapporter gros »xxiv aux lobbies des grandes entreprises.

i In March 2016, the Commission européenne released two positions on regulatory cooperation: good regulatory practices (which would cover all the decisions of the Commission on regulations) and regulatory cooperation (which would cover all sectors included in TTIP). In May 2016, Greenpeace released a leaked chapter on regulatory cooperation which provides the first insight into the US position on this issue.

ii Defined as natural or legal persons.

iii Corporate Europe Observatory and Lobby Control (2016) Dangerous Regulatory Duet http://corporateeurope.org/sites/default/files/attachments/regulatoryduet_en021.pdf

iv Article x5 2 – TTIP – EU proposal for Chapter: Regulatory Cooperation

Available at: http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2016/march/tradoc_154377.pdf

v Article 15 – Chapter on Regulatory cooperation / Regulatory coherence, transparency, and other good regulatory practices. Available at https://www.ttip-leaks.org/

vii Article 7 – TTIP – EU proposal for Chapter: Good Regulatory Practices

Available at: http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2016/march/tradoc_154380.pdf

ix Article 6 – TTIP – EU proposal for Chapter: Good Regulatory Practices

Available at: http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2016/march/tradoc_154380.pdf

xi Article x5 – TTIP – EU proposal for Chapter: Regulatory Cooperation

Available at: http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2016/march/tradoc_154377.pdf

xii Summary of a lunch between the US Chmaber of Commerce and the Commission européenne in Washington in November 2013. Available upon request to CEO.

xiii Article 8 2 a – TTIP – EU proposal for Chapter: Good Regulatory Practices

Available at: http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2016/march/tradoc_154380.pdf

xiv Article 9 – TTIP – EU proposal for Chapter: Good Regulatory Practices

Available at: http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2016/march/tradoc_154380.pdf

xv Article 13 – Chapter on Regulatory cooperation / Regulatory coherence, transparency, and other good regulatory practices. Available at https://www.ttip-leaks.org/

xvi Article 8 2 a – TTIP – EU proposal for Chapter: Good Regulatory Practices

Available at: http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2016/march/tradoc_154380.pdf

xvii Article x5 1 a b – TTIP – EU proposal for Chapter: Regulatory Cooperation

Available at: http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2016/march/tradoc_154377.pdf

xviii Interview with Francisco Fonseca (Commission européenne) – 10th February 2015. Available in Spanish at:

http://www.ocu.org/consumo-familia/nc/informe/francisco-fonseca-ce-ttip

xix Commission européenne (2015) TTIP: EU position on cosmetics – update Available at: http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2014/may/tradoc_152470.pdf

xx Article x5 1 a b – TTIP – EU proposal for Chapter: Regulatory Cooperation

Available at: http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2016/march/tradoc_154377.pdf

xxi European Crop Protection (2014) Crop Protection Industry Urges Stronger Regulatory Framework between EU and U.S.Available at: http://mychemicalmonitoring.eu/news/68ae5717-71ed-4eed-975d-4e5964e6260a/Crop_Protection_Industry_Urges_Stronger_Regulatory_Framework_between_EU_and_US

xxii Center for International Environmental Law (2015) Lowest Common Denominator Available at: http://www.ciel.org/wp-content/uploads/2015/06/LCD_TTIP_Jan2015.pdf

xxiii Public Citizen (2016) Leaked TTIP Documents: Threats to Regulatory Protections Available at: http://www.citizen.org/pressroom/pressroomredirect.cfm?ID=5880

xxiv Union européenne (2013) Report of the visit of Director DG Trade to Washington Available at:

http://corporateeurope.org/sites/default/files/the-gift-that-keeps-on-giving.pdf


TTIP/TAFTA – un document divulgué: les USA peuvent changer les lois de l’UE s’ils ne les aiment pas?

La Commission européenne sera obligée de consulter les autorités américaines avant d’adopter de nouvelles propositions législatives à la suite de la mise en vigueur de l’accord avec les Etats-Unis sur le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP), selon un document divulgué.
Un document divulgué, obtenu par le groupe d’action indépendant Corporate Europe Observatory (CEO) au cours des négociations entre l’UE et les Etats-Unis sur le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP), a révélé qu’une commission non élue sera mise en place, elle aura le pouvoir de décider dans quels domaines une coopération avec Washington devrait avoir lieu, en écartant ainsi les Etats membres de l’UE et le Parlement européen, rapporte le quotidien britannique Independent.
L’objectif principal du TTIP est d’harmoniser les règles transatlantiques dans un éventail de domaines, y compris la sécurité alimentaire et les produits de consommation, la protection de l’environnement ainsi que les services financiers et bancaires.
Le document divulgué concerne le chapitre « coopération réglementaire » des négociations, qui, selon l’Union européenne, se traduira par « réduire les formalités administratives pour les entreprises de l’UE sans rogner leurs droits ».
Toutefois, le document démontre un labyrinthe de procédures qui pourraient ligoter toutes les propositions de l’UE qui vont à l’encontre des intérêts des Etats-Unis, estime le groupe d’actions.
Selon les procédures révélées par le document, les autorités réglementaires américaines auront un « rôle discutable » dans le processus législatif de Bruxelles et affaibliront ainsi le Parlement européen.
« La détermination de l’UE et des Etats-Unis de mettre les grandes entreprises au cœur des processus de prise de décisions est une menace directe faite aux principes démocratiques. Ce document montre comment la coopération réglementaire du TTIP facilitera l’influence des grandes entreprises ainsi que l’influence des Etats-Unis sur le processus législatif avant qu’une proposition ne soit même présentée aux parlements », a déclaré Kenneth Haar, analyste de CEO.

Tafta / Ttip : l’élaboration des normes et des lois bientôt confiée aux lobbies industriels ?

C’est l’un des piliers de l’accord transatlantique de libre échange Tafta (appelé aussi TTIP), en négociation depuis 2013 : la « coopération réglementaire ». Que cache ce jargon techno ? La coopération réglementaire est une procédure de négociation pour fixer les normes et règlementations encadrant la fabrication d’un produit ou la commercialisation d’un service, quel que soit le secteur économique concerné. Cette négociation entre plusieurs États se déroule avant que les normes soient adoptées par leurs parlements respectifs, et vise ainsi à faciliter leur commerce en faisant en sorte que les standards soient communs. Jusqu’ici tout va bien, sauf que… « La coopération réglementaire réduit nos processus démocratiques », accuse l’ONG bruxelloise Corporate Europe Observatory dans un rapport publié ce 18 janvier [1]. Car les groupes de travail constitués pendant ces négociations sont très largement influencés par les grandes entreprises du secteur concerné. Un peu comme si l’on confiait l’élaboration d’une loi – sur l’encadrement des pesticides par exemple, les normes de pollution d’une voiture ou les ingrédients pouvant entrer dans la composition d’un aliment – aux industriels qui les fabriquent.

Le Tafta se propose d’institutionnaliser de tels mécanismes entre l’Union européenne et les États-Unis. « L’amélioration de la compatibilité des réglementations entre l’UE et les États-Unis est un aspect charnière des négociations relatives au partenariat transatlantique de commerce et d’investissement. Il s’agit là du volet des négociations le plus prometteur en matière d’emploi et de croissance. Il sera en outre synonyme d’une offre plus variée pour les consommateurs et du renforcement (et non de l’affaiblissement) des réglementations. » Voilà ce que promet la Commission européenne. L’ONG Corporate Europe Observatory (CEO) n’est pas du tout du même avis. Pour elle, « la coopération réglementaire dans l’accord proposé entre les États-Unis et l’Union européenne augmentera le pouvoir des lobbyistes des grandes entreprises pour attaquer les lois qui sont dans l’intérêt public et pour restreindre le pouvoir de nos élus. ».

Pour le démontrer, l’ONG analyse six exemples de négociations transatlantiques récentes sur des réglementations dans les domaines de la protection des données, de la gestion des déchets électroniques, des tests de produits cosmétiques sur les animaux, des substances industrielles qui attaquent la couche d’ozone, des émissions de l’aviation civile et de la régulation financière. À chaque fois, le mécanisme de coopération réglementaire à l’œuvre de manière informelle a agi dans le sens d’un affaiblissement des règlementations aux dépens du consommateur, du citoyen, et des principes démocratiques.

Un projet de dérégulation lancé il y a vingt ans

« Il est important de ne pas oublier que la coopération réglementaire n’est pas un phénomène nouveau et que ce qui est maintenant au cœur des négociations est la prochaine étape d’un projet commun lancé il y a vingt ans », note le rapport. Dans cette histoire qui commence au début des années 1990, une date marque un tournant : celle du lancement du « Dialogue transatlantique entre entreprises » (Trans-Atlantic Business Dialogue, TABD), par le département états-unien du Commerce et la Commission européenne. Son objectif : « Servir de dialogue officiel entre les leaders états-uniens et européens du business et entre les secrétaires de cabinet états-uniens et les commissaires européens. »[Voir ici.]] Que se passe-t-il dans ces discrets lieux de décisions ? « Au fil des années, le TABD est devenu très influent, et de hauts fonctionnaires européens et états-uniens ont pris l’habitude de demander un avis détaillé aux lobbys des affaires afin d’adapter l’agenda officiel aux demandes des entreprises, rapporte Corporate Europe Observatory. Des décisions officielles cruciales ont été prises sous l’influence majeure du TABD et des priorités des grandes entreprises. »

Le rapport prend l’exemple des réglementations sur les cosmétiques. En 1993, l’Union européenne projette d’interdire la mise sur le marché de produits cosmétiques testés sur des animaux. Le groupe de dialogue transatlantique interentreprises TABD ne tarde pas à réagir. « La position du TABD était qu’une interdiction devait être repoussée et que les interdictions ne devraient être qu’une option si l’industrie pouvait utiliser des méthodes d’expérimentation alternatives. » Conséquence : la Commission européenne repousse l’entrée en vigueur de l’interdiction et propose de remplacer l’interdiction de mise sur le marché par une simple prohibition des expérimentations animales sur le territoire de l’UE. Le Parlement européen n’a pas cédé. Il a adopté en 2002 une véritable interdiction de mise sur le marché des produits testés sur les animaux, mais avec des concessions sur le calendrier. Finalement, « l’interdiction de mise sur le marché est entrée en vigueur vingt ans après qu’une première décision ait été prise et quinze ans après qu’elle ait été envisagée pour la première fois », précise l’ONG.

Un processus similaire s’est déroulé sur la question des déchets électroniques. Là aussi, les projets de réglementation du début des années 1990 aboutissent, une décennie plus tard, à des directives bien moins ambitieuses. À la lumière de ces exemples et des quatre autres cas examinés dans le rapport, Corporate Europe Observatory alerte : « La coopération réglementaire n’est ni plus ni moins qu’une boîte à outils pour les lobbys des entreprises. Elle leur fournit une série de voies d’accès leur permettant d’avoir la main sur l’agenda réglementaire officiel. » Avec le traité transatlantique Tafta, ce mécanisme deviendrait obligatoire. Ce sujet en constitue même l’un des trois chapitres. Avec le mécanisme de traitement arbitral des conflits entre États et multinationales (l’Investor-state dispute settlement, ISDS), qui permet aux multinationales de réclamer des indemnités en cas de mesures qu’elles jugent défavorables, c’est aussi l’un des volets du projet les plus controversés. Et une confiscation encore plus grande de la possibilité d’élaborer des lois d’intérêt général.

Notes

[1“Le dangereux duo réglementaire : Comment la coopération réglementaire transatlantique sous le TTIP permettra à l’administration et aux grandes entreprises de s’en prendre aux intérêts publics”, réalisé en partenariat avec l’ONG allemande Lobby Control, téléchargeable ici.


Les lobbies vont écraser la démocratie

Les autorités européennes et américaines tentent de réduire la coopération réglementaire, une des facettes du TTIP, à un simple processus technique. Mais il faut se préoccuper de la capacité de cet outil à abaisser nos normes. Une prise de conscience est urgente. Une opinion de Lora Verheecke et David Lundy – Corporate Europe Observatory (cette ONG travaille sur les menaces que grandes entreprises et lobbies font peser sur la démocratie en Europe). 


Les menaces pour la démocratie et les droits que fait peser le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP : l’accord commercial entre les États-Unis et l’Union européenne actuellement en cours de négociation entre la Commission européenne et le gouvernement américain) ont fait couler beaucoup d’encre. Les critiques se sont concentrées sur le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États. Ce mécanisme permet aux entreprises de contester les décisions démocratiques d’États souverains si elles considèrent que de tels choix compromettent leurs bénéfices.

Pourtant, il existe une facette du TTIP tout aussi dangereuse pour les normes et la démocratie mais qui est souvent oubliée : la coopération réglementaire. Derrière cette appellation se cache un ensemble dangereux de procédures. Le peu d’attention portée à cet aspect a permis à ceux qui préféreraient éviter le débat sur ces questions de propager des messages rassurants sur la coopération réglementaire : il ne s’agirait que d’un simple outil pour éliminer toutes formalités administratives redondantes et en finir avec la bureaucratie. En réalité, la coopération réglementaire est un assortiment de procédures qui renforcera le pouvoir des lobbies des grandes entreprises contre toute législation favorisant les intérêts publics et diminuera le pouvoir des élus.

Depuis le début de la coopération réglementaire transatlantique, en 1995, l’Union européenne et les États-Unis sont déterminés à inclure les grandes entreprises dans le processus de prise de décision. C’est dans cet esprit que la Commission européenne et le département du Commerce américain ont participé à la mise en place du dialogue transatlantique entre entreprises (Transatlantic Business Dialogue, TABD, en anglais), un club de PDG issus des plus grandes entreprises de part et d’autre de l’Atlantique. Au fil des années, le TABD est devenu très influent et de hauts fonctionnaires européens et américains ont pris l’habitude de consulter de manière approfondie ce lobby des affaires pour faire coïncider l’agenda officiel avec les demandes des entreprises.

Contre les intérêts publics

Le TTIP prévoit la mise en place d’un organe de coopération réglementaire chargé d’évaluer si les lois européennes et américaines sont compatibles entre elles ainsi qu’avec les objectifs de commerce et d’investissement. Un tel organe ouvrira la porte aux souhaits des lobbies des grandes entreprises en matière de réglementation, ralentira l’adoption de nouvelles règles et modifiera celles déjà existantes. La coopération réglementaire a donc peu à voir avec le commerce. Elle cherche surtout à saboter toute loi en faveur des intérêts publics.

Certains exemples démontrent comment la coopération réglementaire et le TABD ont déjà favorisé les priorités des grandes entreprises au détriment de l’intérêt public. En 1993, l’Union européenne a voté un amendement de sa directive relative aux cosmétiques visant à interdire, à partir de 1998, la mise sur le marché de produits cosmétiques testés sur des animaux. C’était sans compter sur la pression des autorités américaines sur la Commission européenne pour qu’elle lève cette interdiction, considérée par les États-Unis comme une entrave au commerce. Les États-Unis n’ont pas hésité à brandir la menace d’une plainte auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Le TABD a pris part à cette affaire bien avant que la proposition ne soit présentée devant une assemblée élue. En octobre 1999, son opposition était par ailleurs évidente : « Si cette interdiction entre en vigueur […], elle aura des conséquences sérieuses sur le commerce entre les États-Unis et l’Union européenne. » Malgré cette forte pression, le Parlement européen a voté l’interdiction en 2002, condamnant fermement ce que les parlementaires jugeaient comme une interférence inappropriée des États-Unis dans la politique de l’Union européenne. Cependant, des concessions ont été accordées en ce qui concerne le calendrier.

L’interdiction de mise sur le marché est entrée en vigueur en 2009, vingt ans après la première décision sur ce sujet, et quinze ans après la date initialement envisagée. Bien que les grandes entreprises auraient préféré l’abandon de cette proposition, elles ont réussi à imposer un retard considérable grâce à la coopération réglementaire.

Les PDG de Wall Street ont pris peur

De tels efforts conjugués entre les autorités européennes et américaines ont aussi permis au conglomérat financier AIG – un géant mondial des assurances – d’échapper aux contrôles avant la crise financière. En 2002, l’Union européenne a adopté une nouvelle réglementation pour veiller à ce que les sociétés transfrontalières dont les activités concernent différents secteurs des marchés financiers n’échappent plus à la réglementation relative à l’adéquation des fonds propres. Dès lors, les entreprises américaines du secteur auraient dû être contrôlées par une institution européenne et respecter la réglementation européenne en matière d’adéquation des fonds propres. Les PDG de Wall Street ont immédiatement pris peur et ont interpellé les autorités financières des États-Unis qui se sont concertées avec l’Union européenne. Dans le cadre de la coopération réglementaire, des discussions ont été menées pour rapprocher les réglementations européennes et américaines. Elles ont permis aux entreprises américaines du secteur de la finance de pouvoir opérer dans l’Union européenne sans contrôle réel des autorités européennes.

Quand la crise financière a éclaté, il est rapidement devenu évident que les autorités de contrôle ne savaient presque rien des comptes européens des entreprises américaines du secteur financier. Ce fut certainement le cas avec la banque d’investissement Lehman Brothers et le géant des assurances AIG dont le département des produits financiers était basé à Londres. AIG était aussi devenu un acteur de premier plan dans le secteur des contrats d’échange du risque de crédit (CDS pour ses acronymes en anglais) – un type de contrat qui offre une garantie contre le non-remboursement d’un prêt.

En septembre 2008, la disparition du conglomérat a joué un rôle clé dans la crise financière. Son incapacité à honorer ses engagements envers les détenteurs de CDS a précipité sa chute. La coopération réglementaire a affaibli les contrôles et, ce faisant, les autorités ont été incapables de faire face à la crise en formation. Le plus inquiétant est que tous ces scénarios se sont produits alors que la coopération réglementaire se fondait sur une base volontaire, et de loin non exhaustive, au sein d’une structure institutionnelle faible.

Les choses seraient bien différentes dans le cadre du TTIP : les mêmes lobbies d’affaires utilisent, en effet, ces négociations du TTIP pour faire inscrire ces procédures dans les règles d’élaboration des lois. Dès lors, ce sont tous les succès passés et futurs en matière de politique environnementale, de droits du travail et de protection du consommateur qui sont menacés. Comme l’a déclaré la Chambre de commerce des États-Unis, l’un des lobbies d’affaires les plus importants, la coopération réglementaire est un « cadeau qui ne cesse de rapporter gros », mais seulement aux grandes entreprises. Alors que les autorités européennes et américaines tentent de faire passer la coopération réglementaire comme un simple processus technique, elle est, selon nous, un sujet controversé qui doit être débattu publiquement. Se préoccuper de la capacité de cet outil à abaisser nos normes et affaiblir notre démocratie est tout à fait légitime. En 2016, une prise de conscience sur cet enjeu crucial est nécessaire.

-> Le rapport « Le dangereux duo réglementaire : comment la coopération réglementaire transatlantique sous le TTIP permettra à l’administration et aux grandes entreprises d’attaquer l’intérêt public » peut être consulté à l’adresse suivante: http://corporateeurope.org/international-trade/2016/01/dangerous-regulatory-duet


TAFTA / TTIP : Les réglementations verrouillées

Une nouvelle fuite de proposition de texte portant sur les négociations commerciales transatlantiques (TAFTA ou TTIP) montre que la Commission Européenne continue ses efforts pour limiter les réglementations visant à protéger l’intérêt général – y compris potentiellement celles émanant des autorités régionales.

De Kenneth Haar (CEO) et Max Bank (LobbyControl)

Depuis décembre 2013, des ONGs, mouvements sociaux, hommes et femmes politiques ont sévèrement critiqué la proposition de la Commission Européenne (CE) sur le volet “coopération réglementaire’ 1 du Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement (PTCI, connu sous l’acronyme TAFTA). D’après eux, la propostion fuitée à cette époque indiquait que la Commission souhaitait ouvrir grand la porte à une influence massive des multinationales sur les lois futures. En décembre 2014, un nouveau document fuité montre que celle-ci maintient son cap – rien ne suggère qu’elle prend en compte les inquiétudes de la société civile 2. Dans cette nouvelle version, la CE va encore plus loin. Elle limite les options poitiques des municipalités et des autorités locales. Même si cette idée est sous le feu des critiques et ne sera peut-être pas dans la position définitive de la Commission, c’est un signe montrant que la coopération réglementaire pourrait non seulement couvrir un grand nombre de sujets, mais également être un danger direct pour la démocratie.

L’objectif de la coopération réglementaire

Le terme « coopération réglementaire » décrit le processus d’aligement des réglementations existantes des deux côtés de l’Atlantique. Son objectif est d’assurer que les biens produits d’un côté de l’Atlantique puissent être exportés de l’autre, sans se préoccuper d’obligations particulières à l’un des deux marchés. En pratique, cela pourrait avoir un impact sur toutes les règles, des aliments aux produits chimiques. La proposition est en effet hautement stratégique. Elle permettrait de résoudre les problèmes posés par les aspects les plus controversés du TAFTA après que le traité ait été finalisé. L’attention du public aura alors diminué. La proposition donnerait de nombreuses opportunités aux grandes entreprises pour contribuer aux nouvelles règles. La Commission continue néanmoins à affirmer que ses propositions sur la coopération réglementaire dans le TAFTA ne sont rien de plus que l’établissement d’un dialogue rationnel. Elles viseraient notamment à éviter la duplication des lois des deux côtés de l’Atlantique. Elles ne réduiraient pas la capacité des autorités de régulation à poursuivre leurs objectifs d’intérêt général. La Commission a également insisté de manière répétée sur le fait que ses propositions n’allaient pas donner de traitement particulier aux groupes d’intérêts liés au millieu des affaires.

Néanmoins, ce discours n’a pas dissipé les inquiétudes. En effet, il y a toujours eu un fossé entre les documents de la Commission destinés au public et les textes de négociation obtenus par fuites. Les fuites les plus récentes portant sur les propositions de décembre 2014 et janvier 2015 n’ont pas seulement confirmé la validité des critiques sur un certain nombre de points, elles montrent que la position de négociation est encore pire que ce que les organisations et les personnes critiques imaginaient. Comme le document actuel (janvier 2015) est un texte juridique, alors que le précédent n’était qu’un document indicatif (« position paper »), les négociateurs européens semblent avoir consolidé leur position sur ce sujet.

La coopération réglementaire, un projet des multinationales

La coopération réglementaire est chère aux lobbies des grandes entreprises , des deux côtés de l’Atlantique. Fin 2012, BusinessEurope et la Chambre de Commerce des États-Unis se sont réunis à plusieurs reprises avec la Commission pour faire entendre leurs propositions. Pour eux, la coopération est une mise à plat des différences législatives sur le long terme – que ce soit en termes de normes alimentaires, d’autorisations de produits chimiques, ou de règles sur les méthodes de production, pour n’en citer que quelques-exemples.

Cette mise à plat passe par une série de procédures, dont la coopération entre “régulateurs”. Elle est présentée comme une solution aux désaccords sur l’harmonisation ou la reconnaissance mutuelle des standards qui paraissent difficiles à résoudre sur le court terme. Par conséquent, puisque les négociateurs ne pouront probablement pas obtenir un accord sur des règles communes pendant le cours des négociations commerciales, particulièrement sur des sujets tels que les normes alimentaires, les produits chimiques et la réglementation financière, la coopération réglementaire peut fournir un espace où les groupes d’intérêts des entreprises et les régulateurs pourront obtenir les résultats qui leur conviennent après que le TAFTA soit finalisé, sur le long terme et loing du regard du public.

La coopération réglementaire fonctionne à deux niveaux : au niveau sectoriel (par exemple sur l’ autorisation des produits chimiques), et aux niveaux des règles horizontales qui s’appliquent à tous les domaines. Les deux lobbies industriels et financiers cités ci-dessus (BusinessEurope et la Chambre Américaine de Commerce) ont été particulièrement actifs dans la formulation des règles horizontales, celles traitées dans les deux documents fuités en notre possession. Ces propositions ont une portée très large, elles s’appliquent à la fois aux lois et aux réglementations.

Durant leurs réunions de 2012, les deux lobbies ont présenté à la Commission une série de propositions. Celles-ci devaient leur permettre – selon leurs propres mots – de “co-écrire les réglementations”. Cela en tête, il n’est pas surprenant que les fortes ressemblances entre les propositions de la Commission et celles des lobbyistes aient déclenché une telle réaction négative contre les importants privilèges offerts aux grandes entreprises.

Les soi-disant ‘parties prenantes’ de la coopération réglementaire

Ces privilèges ne signifient pas que d’autres groupes ne seront pas impliqués dans la coopération réglementaire. Lorsque la Commission parle de la participation des « groupes d’intérêt » dans les affaires réglementaires, elle utilise le terme neutre de “parties prenantes”. Cela se réfère bien entendu à toutes sortes de parties prenantes, dont les syndicats et les associations de protection de l’environnement. Néanmoins, comme une majorité écrasante des lobbyistes de Bruxelles représente les grandes entreprises, il est clair qu’ «  impliquer les parties prenantes » signifie ouvrir une porte de plus aux représentants des millieux d’affaire, afin qu’ils puissent influencer les politiques. Les expériences passées d’implication des “parties prenantes” dans la “coopération réglementaire” entre l’UE et les EU ont montré que ces procédures sont facilement ouvertes aux grandes entreprises et souvent fermées aux autres groupes d’intérets. Enfin, dernier élément mais non le moindre: l’horizon de la coopération réglementaire est avant toute chose celui de la promotion du commerce – et non celui de la protection des droits des consommateurs, de la promotion de la santé publique, ou de tout autre objectif de politique publique.

La Commission Européenne reste sur ses positions

Avec la coopération réglementaire, les entreprises auront une série d’outils à leur disposition pour influencer les nouvelles lois, les nouvelles réglementations, et même celles déjà appliquées. Lorsque le nouveau document (janvier 2015) est lu en adoptant cette perspective, auncun changement positif est en vue. Bien au contraire. Dans la proposition fuitée, quatre sujets sont particulièrement épineux :

1. Alerte précoce- Lobbying précoce

Selon la dernière proposition fuitée de la Commission, de janvier 2015, dès que de nouvelles réglementations seront planifiées les entreprises devront être informées à travers un rapport annuel, et devront être impliquées. Cela s’appelle désormais l’ “information précoce sur les actes futurs” (« early information »), jusqu’à récemment nommé “alerte précoce” (« early warning »). Dès la phase de préparation d’une régulation, “la Partie régulatrice” doit donner aux lobbies d’affaire qui ont un intérêt dans la loi ou la réglementation une opportunité pour “fournir des contributions”. Ces contributions “doivent être prises en compte” lors de la finalisation de la proposition (Article 6). Cela signifie que les entreprises, très tôt dans le processus législatif, pourront essayer de bloquer des règles écrites pour empêcher, par exemple, les industries agroalimentaires de mettre sur le marché des aliments contenant des substances toxiques, pourront bloquer les lois qui tenteraient d’empêcher, par exemple, les entreprises dans le secteur de l’énergie de détruire le climat, ou bloquer les réglementations qui tenteraient de combattre la pollution ou de protéger les consommateurs.

2. Etudes d’impact – pas de règles préjudiciable aux affaires

Les nouvelles réglementations devront passer par une “étude d’impact”, qui contiendra trois questions (article 7 – les versions précédentes des propositions contenaient sept questions :

– Quel est la relation entre la proposition législative et les instruments internationaux ?

– Comment les règles futures ou existantes de l’autre Partie sont-elles été prises en compte ?

– Quel impact aura la nouvelle règle sur le commerce et l’investissement ?

Ces questions sont principalement orientées vers les intérêts des entreprises, pas ceux des citoyens. Grâce à la procédure d’ “information précoce”, les entreprises pourront faire en sorte que leurs préoccupations soient prises en compte dans le rapport de l’étude d’impact. En cas de direction contradictoire à leurs intérets, le rapport devra citer l’impact nuisible sur le commerce transatlantique.

3. Echanges réglementaires -un dialogue pour aider les multinationales à obtenir ce qu’elles veulent

Le modèle présenté par les négociateurs de l’UE donne beaucoup d’outils aux grandes entreprises pour se plaindre d’un “acte envisagé ou planifié” et de réglementations en cours de révision (articles 9 et 10). En particulier, un “échange réglementaire” devra avoir lieu si une des Parties est mécontente des effets d’une règle sur ses intérêts commerciaux. Un dialogue devra avoir lieu, et la Partie dont les règles sont attaquées devra co-opérer, et devra être prête à répondre à toute question posée.

Dans la proposition précédente, de 2013, il était noté qu’au cas où un Etat Membre de l’UE soit sur le point de décider de nouvelles règles qui pourraient affecter le commerce, un dialogue devrait avoir lieu afin de “résoudre efficacement les problèmes”. Dans la nouvelle proposition, le modus vivendi dans de tels scénarios n’est pas spécifié.

4. L’Organe de Coopération Réglementaire – les régulateurs au volant

Les “régulateurs” (non élus) obtiendront un rôle clé. Selon la position de décembre 2013, du point de vue Européen ce rôle renviendra à la Commission Européenne. Du côté américain, il reviendra aux représentants du Bureau d’Information sur les Affaires Réglementaires (OIRA). Étant donné la coopération déjà proche et bien établie entre les lobbies et les agences réglementaires dans l’UE et aux Etats Unis, ce nouveau pouvoir donné aux agences renforcera l’influence des multinationales sur les politiques publiques.

L’ « Organe de coopération réglementaire » (OCR) créé par le TAFTA – appellé « Conseil de coopération réglementaire » dans des versions antérieures – aura la responsabilité générale de la coopération réglementaire. Une de ses obligations sera de “porter une considération particulière” aux propositions des entreprises sur les réglementations futures et existantes (article 13).

La coopération réglementaire ne portera pas seulement sur les nouvelles réglementations mais également sur les réglementations existantes. Par conséquent, avancer vers la “convergence réglementaire” est un très gros projet. Il sera de la responsabilité de l’OCR de s’assurer que le processus de convergence des réglementations des États-Unis et de l’UE avance. Il devra s’en assurer que ce soit en faisant en sorte que les règles sur l’harmonisation ou la “reconnaissance mutuelle” soit considérées et adoptées, ou en lancant des propositions pour résoudre les différences dans certains secteurs. Pour ce faire, il pourra se servir des “groupes de travail sectoriels” . Ceux-ci ont été très rapidement identifiés par la Commission comme un type de groupes où les entreprises pourront avoir un “accès priviligié”. Une autre option pour les entreprises sera de simplement développer leurs propres propositions – des propositions que l’OCR devra ensuite prendre sérieusement en considération (article 15).

L’OCR est fait pour devenir une institution puissante, même si elle ne pourra pas adopter d’actes législatifs en soi. La proposition de l’UE n’est pas claire sur la division des compétences entre les organes élus – qu’ils soient parlementaires ou gouvernementaux – et l’OCR. Elle ne mentionne qu’un “Organe Ministèriel Commun” auquel l’ “Organe de Coopération Réglementaire” devrait répondre.

Peu de limites en vue

Les propositions de la Commission sont clairement très ambitieuse. La « coopération réglementaire » aura des dents et devrait couvir de larges parties de l’élaboration des politiques. Si cela ne tenait qu’aux négociateurs de l’UE, la coopération régementaire couvrirait même les municipalités et les autorités régionales. Dans la proposition de décembre 2014, la Commission suggèrait que “les Parties d[evraient] tenter de s’assurer que les institutions aux échelons infra-étatiques de l’UE et des états fédérés américains respectent ce chapitre.” Cela aurait inclus les municipalités et les autorités régionales et aurait considérablement élargi le champ de la coopération réglementaire. Cela aurait pu avoir un impact sur l’urbanisme, les marchés publics, les ressources naturelles et les politiques environnementales.

Jusqu’à présent il semble néanmoins que les Etats Membres aient refusé cette proposition, et qu’elle soit – pour le moment – mise à l’écart.

La coopération réglementaire est une menace pour la démocratie

En résumé, la coopération réglementaire mérite toute l’attention qu’elle peut avoir des ONGs, des mouvements sociaux, et surtout des législateurs à travers l’Europe. Ces derniers vont voir leurs propres pouvoirs limités, de facto, par la coopération réglementaire. Les documents connus du public jusqu’à présent montrent que les négociateurs tentent de modifier les processus de prises de décision pour augmenter le commerce et les investissements, avec peu de considération pour les conséquences sur nos institutions démocratiques. Ils mettent en avant des procédures complexes qui conviennent aux intérêts des entreprises. À la vue des documents obtenus par fuites, l’argument exposé dans la fiche d’information de la Commission, selon laquelle le “droit de réglementer dans l’intérêt général” est protégé, ne tient pas la route. Les documents montrent que l’étendue de la coopération réglementaire dans le TAFTA pourrait mettre en danger jusqu’au droit à réguler des municipalités et des régions.

  • 1. Pour plus d’informations sur la coopération réglementaire, vous pouvez consulter notre note explicative.
  • 2. En plus du document de Janvier obtenu par fuites, un autre document de Décembre a été reçu. Les deux documents sont pratiquement identiques, sauf sur la question des autorités régionales.