COMMERCE – Il porte un nom à coucher dehors et pourrait bouleverser l’ensemble des règles commerciales entre l’Europe et les Etats-Unis. Objet de toutes les peurs et fantasmes, l’accord de libre-échange transatlantique commence sa cinquième table ronde lundi. Elle se déroulera dans le plus grand secret jusqu’au 23 mai, soit 2 jours avant les élections européennes. Une pause salvatrice, alors que le mouvement de contestation gagne les rangs de nombreux activistes et formations politiques. Si vous n’avez pas encore eu le temps de vous pencher dessus, Le HuffPost s’en est chargé à votre place.
Baptisé dans un premier temps TAFTA (puis TTIP, nous y reviendrons), pour « Transatlantic Free Trade Area » (zone de libre-échange transatlantique), rien que son nom fait froid dans le dos. Il a pour but de créer un marché commun de 820 millions de consommateurs, en allégeant les tarifs de douanes et les réglementations de part et d’autre de l’Atlantique. A la clé, plus de 100 milliards d’euros par an pour chacun, ainsi que 2 millions d’emplois (dont 121.000 en France). Il prévoit aussi la mise en place d’un mécanisme de règlements des différends entre entreprises et Etats (un dispositif très polémique). Négociées dans le plus grand secret, les tractations ont commencé à l’été 2013 avec la Commission européenne aux manettes pour représenter le Vieux Continent. S’il faudra au moins deux ans pour parvenir à un accord, le projet, lui, a déjà plus de 15 ans.
Il est l’héritier d’un accord tué dans l’oeuf en 1998. Involontairement rendu public, l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI) avait entraîné de vives protestations de la part des partisans de l’exception culturelle, des mouvements de défense de l’environnement et de quelques mouvements syndicaux. Comparé à Dracula par ses opposants (il meurt à être exposé en plein jour), sa médiatisation avait entrainé son abandon. Mais comme tout bon vampire digne de ce nom, il parvient toujours à renaître sous une autre forme.
Le TAFTA n’est qu’une version modifiée de l’AMI, explique Le Monde Diplomatique. Il prévoit que les législations en vigueur des deux côtés de l’Atlantique se plient aux normes du libre-échange établies « par et pour les grandes entreprises européennes et américaines, sous peine de sanctions commerciales pour le pays contrevenant, ou d’une réparation de plusieurs millions d’euros au bénéfice des plaignants ». Trainant une sale réputation dans l’opinion, ses partisans l’ont depuis renommé TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership), car il ressemblait trop au traité ACTA, rejeté à Bruxelles au terme d’un long combat politique. Pour autant, les adversaires préfèrent utiliser l’acronyme original et se réunissent sous le drapeau #STOPTAFTA.
Une opacité problématique
Ses adversaires craignent que le TAFTA ne se solde par une révision à la baisse des législations et normes européennes (sanitaires, sociales, environnementales), considérées de l’autre côté de l’Atlantique comme des barrières au commerce et aux investissements. Or, après quatre rounds de négociation, aucun élément tangible n’est venu les contredire. De fait, aucun élément ne filtre des échanges à huis clos, et l’on ne connaîtrait même pas le mandat initial de la Commission européenne si le texte n’avait pas fuité. Cette opacité provoque la fureur des détracteurs de l’accord… et pourrait bien causer sa chute.
L’AMI et ACTA sont morts comme cela. Ce culte du secret avait attisé le suspicion et le courroux de la société civile. Les négociateurs sont donc forcés de travailler avec une dose d’ouverture afin de ménager les opinions publiques. En effet, ce sont les députés du Parlement européen qui procéderont au vote décisif. La Commission insiste donc sur « les négociations commerciales les plus ouvertes et transparentes jamais menées ». Pour autant, elle fait valoir qu’un « certain niveau de confidentialité est nécessaire pour protéger les intérêts européens et conserver des chances d’obtenir un résultat satisfaisant ».
A défaut d’un abandon en plein milieu, les détracteurs du TAFTA comptent aussi sur un ralentissement des tractations. La nouvelle Commission européenne commencera son mandat en octobre prochain. Si la gauche l’emporte, elle pourrait faire pression pour une réorientation des discussions. Mais au final, les parlements nationaux auront aussi leur mot à dire. Le traité de Lisbonne prévoit qu’ils soient consultées pour les accords dépassant les compétences communautaires.
Poulet au chlore et procès de multinationales contre Etats
Les négociations sont si secrètes que l’on ne sait pas vraiment ce qu’elles contiennent. Une partie de l’opinion redoute que cet accord ne force les Européens à accepter des OGM ou du boeuf aux hormones. D’autres craignent qu’il ouvre la porte à l’exploitation des gaz de schiste sans veto possible des gouvernements nationaux. En l’état, rien n’est bâti pour un traitement express. Barack Obama n’a pas le soutien du Congrès américain et la Commission explique que des sujets sensibles comme l’exception culturelle ont été exclus des débats.
Mais le mandat confié par les Etats à la Commission est plutôt ambigu. « L’accord visera à éliminer les obstacles inutiles au commerce et à l’investissement y compris les obstacles non tarifaires existants », peut-on lire dans le texte disponible en ligne. De quoi renforcer les avertissement proférés par Jean-Luc Mélenchon fin 2013: « Les Nord-américains lavent leur poulet avec du chlore: vous mangerez du poulet au chlore ». Sauf que ce n’est pas si simple ça. Le mandat annonce le mise en place de garde-fous pour éviter une déréglementation désordonnée. Les acquis européens et les legislations nationales en terme de normes environnementales et sociales sont présentés comme indispensables. Les négociations n’étant pas connues, il est très prématuré de s’en prendre à ce point là.
L’installation d’un mécanisme pour régler les différends des entreprises a aussi sa part de mauvaise publicité. En clair, ça serait la création d’un tribunal international qui statuerait entre un Etat et une entreprise se sentant flouée. Pièce importante de l’accord de libre-échange, elle fait hérisser le poil de la plupart des contradicteurs. En effet, si une entreprise a peu de chance de gagner en attaquant un pays dans sa jurisdiction, ce dispositif avantagerait fortement les intérêts commerciaux. Le pétrolier américain Schuepbach a récemment été débouté par le Conseil constitutionnel après avoir contesté le moratoire français sur le gaz de schiste. Pourrait-il avoir gain de cause avec ce mécanisme? Tout dépend des garde-fous que prévoieront les négociateurs.
Susan George et Cécile Monnier (Nouvelle Donne) exposent ici pourquoi le mouvement réclame « l’abandon pur et simple des négociations autour du Tafta » : un traité « façonné par des multinationales », et qui entend « privatiser » non seulement la justice mais une part du travail législatif.
Parce que son nom, Tafta ou TTIP, ne dit pas la vérité sur son contenu. Ce traité concerne peu le commerce, mais davantage l’investissement, et s’intéresse surtout aux règlements et normes qui gouvernent toute mise sur le marché d’un produit ou d’un processus.
Parce que les tarifs douaniers que vise à faire tomber le Tafta sont déjà très bas – de l’ordre de 2% à 3%, sauf pour l’agriculture. Si on devait diminuer les barrières douanières en Europe, ce serait la mort programmée d’une grande partie des agriculteurs européens.
Parce que ce traité a été conçu et façonné depuis de longues années par des multinationalesdes deux côtés de l’Atlantique, dont le souci majeur est de réduire et « d’harmoniser » vers le bas les deux systèmes. Ces entreprises pensent ainsi économiser des milliards d’euros, mais cette économie se fera au prix d’une baisse de la protection du consommateur, de sa santé, de sa protection sociale et de l’environnement. Les États-Unis ne voient aucun inconvénient aux OGM, gaz de schiste, bœuf nourri aux hormones, poulets rincés au chlore, médicaments hors de prix. En revanche, ils voient d’un très mauvais œil – tout comme les grands groupes européens – les produits pharmaceutiques génériques, l’amélioration de la protection sociale, des salaires ou encore des retraites, les services publics qui « devraient » être privatisés, ainsi que toute restriction de la liberté du marché ou de la sacro-sainte « concurrence libre et non faussée ».
Parce que si un État mettait en place une loiou toute autre mesure risquant d’entamer les profits actuels ou même futursd’un investisseur étranger, celui-ci pourrait traduire cet État devant un tribunal d’arbitrage privé. Ce tribunal pourrait alors décider d’une compensation en faveur de l’investisseur (sous d’autres traités bilatéraux similaires, la plus importante compensation imposée a été de 1,1 milliard de dollars). Ce sont bien sûr les contribuables qui paieraient ces amendes, ainsi que les coûts élevés de justice (avocats et arbitres spécialisés, pour le moment surtout américains et britanniques).
Parce que ce traité entend privatisernon seulement la justice par le système de l’arbitrage privé, injustifié dans des pays où les cours de justice sont fiables et non corrompues, mais aussi une partie des fonctions législatives qui concernent la régulation des marchés et les lois qui protègent les citoyens. Les États seront amenés à bien réfléchir avant d’adopter de nouvelles lois protectrices, de crainte d’être assaillis de procès longs et coûteux.
Parce que ce traité est rétroactif et couvrira les investissements déjà effectués, soit environ 3 000 milliards de part et d’autre de l’Atlantique.
Parce qu’il est secret et négocié dans un déni de démocratie total: même les parlementaires européens n’ont pas le droit de le lire ou de consulter les compte-rendus des cycles de négociation.
Comment peut-on accepter qu’un traité qui mettrait à mal toutes nos normes et réglementations et qui soumettrait nos Etats et nos collectivités à la volonté des multinationales soit négocié dans le dos des citoyens ? Encore une fois, Nouvelle Donne demande l’abandon pur et simple des négociations autour du TAFTA : sans dramatisation, mais avec conviction, refusons de nous asseoir à cette table-là !
Susan George, membre du comité de soutien de Nouvelle Donne et présidente d’honneur d’Attac Cécile Monnier, candidate dans le sud-ouest aux élections européennes pour Nouvelle Donne
(1)Tafta: TransAtlantic Free Trade Agreement (Accord Transatlantique de Libre-Échange). TTIP: Transatlantic Trade and Investment Partnership (Partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement).
Bien que partisan de l’Europe, le sénateur centriste Jean Arthuis s’oppose fermement au traité de libre-échange transatlantique actuellement négocié par les Etats-Unis et les autorités européennes. Il expose ici les dangers que ferait peser cet accord sur la France et sur l’Europe. ( Jean Arthuis a été ministre de l’Economie et des finances, il est tête de liste UDI-MoDem «Les Européens», en Bretagne, Pays de la Loire, Poitou-Charentes ).
C’est une chose de vouloir abaisser les barrières tarifaires et faire converger les réglementations, pour accroître le commerce et les investissements de part et d’autre de l’Atlantique. C’en est une autre de laisser Washington piétiner les intérêts européens sans avoir le courage de les défendre avec fermeté. C’est pourquoi, bien qu’issu d’une famille politique traditionnellement favorable au libre-échange et à l’alliance atlantique, je suis contre l’Accord transatlantique de libre-échange actuellement négocié par les Etats-Unis et les autorités européennes.
À cela, sept raisons précises et concrètes.
Premièrement, je m’oppose à l’arbitrage privé des litiges entre Etats et entreprises. Demain, suivant la proposition des Etats-Unis, une entreprise s’estimant lésée par la décision politique d’un gouvernement pourrait y recourir. Une telle procédure est rigoureusement contraire à l’idée que je me fais de la souveraineté des Etats.
Deuxièmement, je m’oppose à toute remise en cause du système européen des appellations d’origine. Demain, suivant la proposition des Etats-Unis, il n’y aurait plus qu’un registre non contraignant, et uniquement pour les vins et spiritueux. Une telle réforme tuerait nombre de productions locales européennes dont la valeur repose sur leur origine certifiée.
Troisièmement, je m’oppose à la signature d’un accord avec une puissance qui espionne massivement et systématiquement mes concitoyens européens, ainsi que les entreprises européennes. Les révélations d’Edward Snowden sont à cet égard édifiantes. Aussi longtemps que l’accord ne protège pas les données personnelles des citoyens européens et américains, il ne saurait être signé.
Quatrièmement, les Etats-Unis proposent un espace financier commun transatlantique, mais ils refusent catégoriquement une régulation commune de la finance, de même qu’ils refusent d’abolir les discriminations systématiques faites par les places financières américaines à l’encontre des services financiers européens. C’est vouloir le beurre et l’argent du beurre: je m’oppose à cette idée d’un espace commun sans règles communes et qui maintiendrait les discriminations commerciales.
Cinquièmement, je m’oppose à la remise en cause de la protection sanitaire européenne. Washington doit comprendre une fois pour toutes que nonobstant son insistance, nous ne voulons dans nos assiettes ni des animaux traités aux hormones de croissance, ni de produits issus d’OGM, ni de la décontamination chimique des viandes, ni de semences génétiquement modifiées, ni d’antibiotiques non thérapeutiques dans l’alimentation animale.
Sixièmement, je m’oppose à la signature d’un accord s’il n’inclut pas la fin du dumping monétaire américain. Depuis la suppression de la convertibilité-or du dollar et le passage au système des changes flottants, le dollar est à la fois monnaie nationale étasunienne, et unité principale de réserve et d’échanges dans le monde. La Réserve fédérale pratique donc sans cesse le dumping monétaire, en agissant sur la quantité de dollars disponible pour favoriser les exportations des Etats-Unis. La suppression de cet avantage déloyal suppose, comme le propose la Chine, de faire des «droits de tirage spéciaux» du FMI la nouvelle monnaie mondiale de référence. En termes de compétitivité, l’arme monétaire a le même effet que les droits de douane.
Septièmement, au-delà du seul secteur audiovisuel, étendard de l’actuel gouvernement qui sert de cache-sexe à sa lâcheté sur tous les autres intérêts européens dans la négociation, je veux que toute l’exception culturelle soit défendue. Notamment, il est inacceptable de laisser les services numériques naissants d’Europe se faire balayer par les géants américains tels que Google, Amazon ou Netflix. Géants, maîtres absolus en optimisation fiscale, qui font de l’Europe une «colonie numérique».
D’ores et déjà, à l’approche des élections européennes, les deux extrêmes font leur miel des lâchetés des autorités européennes dans la négociation avec Washington. Leur europhobie ne saurait se nourrir plus longtemps de notre manque de courage politique. Il est grand temps que la classe politique républicaine, avec calme, responsabilité et sang-froid, dise non à l’Accord transatlantique.
En définitive, dans cette négociation, l’Europe s’avère avoir peur de défendre nos intérêts. Or, elle seule en a la force et l’envergure. Plutôt qu’une Europe timorée, inféodée, c’est cette Europe de courage et de fermeté que j’entends défendre. Du reste, cette voie du courage est le seul chemin pour un accord véritablement équitable de libre échange.
Le Président Obama et la Commission européenne ont donné mandat à l’ambassadeur américain Michael Froman et au commissaire Karel de Gucht pour confectionner un Traité transatlantique aux objectifs mirobolants : augmenter le commerce entre les USA et l’UE de 120 milliards de dollars dans les prochaines cinq années et créer deux millions d’emplois.
Quoi
Négocié depuis le mois de juillet 2013, TAFTA, l’accord commercial transatlantique ou Trans-Atlantic Free Trade Agreement est un projet d’accord commercial entre l’Union européenne et les États-Unis.
Le projet est aussi connu sous le nom de TTIP, Transatlantic Trade and Investment Partnership ou PTCI, Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement.
La décision d’entamer ces négociations s’explique essentiellement par la persistance de la crise économique et par le blocage des négociations commerciales multilatérales au sein de l’Organisation mondiale du commerce – connues sous le nom de «programme de Doha pour le développement».
Comment
L’accord a pour objet rendre plus simple l’achat et la vente de biens et services entre l’Union européenne et les Etats-Unis et permettre aux entreprises européennes et étasuniennes d’investir plus facilement dans l’autre économie. Les négociations s’attaquent aux droits de douanes, en particulier dans les secteurs où ils sont restés importants, comme dans l’agriculture. Mais l’accord vise avant tout une harmonisation des règles en matière de production agricole ou industrielle, protection des données numériques et licences, mesures de prévention des risques environnementaux et sanitaires, etc.
Qui
Les négociations sont conduites par le représentant américain pour le commerce (USTR) pour les États-Unis et le commissaire au commerce, M. Karel De Gucht, pour la Commission européenne, qui négocie au nom de l’Union et de ses 28 États membres.
Pourquoi
Les effets économiques d’un accord qu’entraînerait différents degrés de libéralisation des échanges entre l’UE et les Etats-Unis ont étés évalués par le CEPR, un centre d’études sur la politique économique basé à Londres. L’étude du CEPR, intitulée «Reducing barriers to Transatlantic Trade» (réduire les obstacles au commerce transatlantique), suggère que l’économie de l’Union pourrait en retirer un bénéfice de 119 milliards d’euros par an – l’équivalent d’un bonus de 545 euros en moyenne par ménage de l’Union. Selon l’étude, l’économie américaine pourrait en retirer un gain de 95 milliards d’euros supplémentaires par an, soit 655 euros par famille américaine.
Ces avantages se matérialiseront sous la forme de biens et services moins chers. De manière générale, les partisans du TAFTA affirment que « …les prix diminueront parce que les droits d’importation sur les marchandises américaines seront abolis, des règles jugées superflues seront abrogées et… dans de nombreux domaines, au lieu de devoir produire des biens selon deux ensembles de spécifications séparés, les fabricants pourront suivre un même ensemble de règles pour l’Union et pour les Etats-Unis ».
TAFTA ? Tout bien réfléchi, Non Merci !
De dizaines organisations au niveau français, européen et aux Etats-Unis dénoncent le TAFTA comme processus anti-démocratique. Pourquoi ? Parce que le projet d’accord inclut en effet un inacceptable mécanisme d’arbitrage des différends États-investisseurs. Un mécanisme qui consacre la suprématie des droits des investisseurs sur nos droits démocratiques.
Ce type de mécanisme, dit de « protection des investissements », prévoie que les grandes entreprises aient le pouvoir de contester les réglementations nationales et internationales si elles affectent leurs profits. Ainsi, les États membres de l’UE peuvent voir leurs lois domestiques visant à protéger l’intérêt général contestées dans des tribunaux ad hoc, dans lesquels les lois nationales n’ont aucun poids et les élus politiques aucun pouvoir d’intervention.
Quelques conflits emblématiques
A travers le monde, les entreprises transnationales ont déjà utilisé les mécanismes de règlement des différends investisseurs-États intégrés aux accords sur le commerce et l’investissement.
Quelques conflits emblématiques, d’après le document « Une déclaration transatlantique des droits des entreprises » du Réseau Seattle to Brussels Network (S2B), le Corporate Europe Observatory (CEO), le Transnational Institute, l’AITEC (Association internationale des techniciens, experts et chercheurs) et Attac (Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne).
Sociétés contre santé publique : Philip Morris v. Uruguay et Australie
Au travers d’un traité bilatéral d’investissements, le géant du tabac Philip Morris poursuit en justice l’Uruguay et l’Australie sur leur lois anti-tabac. L’entreprise soutient que les avertissements sanitaires sur les paquets de cigarettes et les emballages les empêchent d’afficher clairement le logo de leur marque, causant une perte substantielle de leur part de marché
Sociétés contre protection environnementale Vattenfall v. Allemagne
En 2012 le géant Swedish energy a porté plainte contre l’Allemagne demandant 3,7 milliards d’euros en compensation de profits perdus suite à l’arrêt de deux de ses centrales nucléaires. La plainte suivait la décision du gouvernement fédéral allemand de supprimer progressivement l’énergie nucléaire après le désastre nucléaire de Fukushima
Sociétés contre les gouvernements prenant des mesures contre les crises financières – Argentine et Grèce
Lorsque l’Argentine a gelé les tarifs des services essentiels (énergie, eau …) et dévalué sa monnaie en réponse à la crise financière de 2001-2002, elle fut frappée par plus de 40 plaintes de sociétés comme CMS energy (US), Suez et Vivendi (France). A la fin de 2008, les condamnations contre le pays totalisaient 1.15 M$
En mai 2013, des investisseurs slovaques et chypriotes poursuivaient en justice la Grèce concernant l’échange de créance sur sa dette souveraine de 2012 qu’Athènes a du négocier avec ses créditeurs pour obtenir l’aide monétaire de l’UE et du FMI, qui ont tout deux averti que les accords sur les investissements pouvaient sévèrement affecter la capacité des États à lutter contre la crise économique et financière
Sociétés contre protection de l’environnement : Lone pine v. Canada
Sur la base de l’ALENA (Accord de libre-échange nord américain), la société américaine Lone Pine Ressources Inc. demande 250 millions de dollars américains de compensation au Canada. Le « crime » du Canada : la province canadienne du Québec a décrété un moratoire sur l’extraction d’huile et gaz de schiste en raison du risque environnemental de cette technologie.
Sociétés contre santé publique Achmea v. la République slovaque
Fin 2012, l’assureur néerlandais Achmea (anciennement Eureko) a reçu 22 millions d’euros de compensation du gouvernement slovaque pour avoir remis en cause, en 2006, la privatisation de la santé engagée par l’administration précédente, et demandé aux assureurs de santé d’opérer sans chercher de profits
Ces exemples montrent qu’il y a le risque que le TAFTA puisse permettre aux investisseurs étrangers de contourner les tribunaux locaux et attaquer les États directement par des tribunaux internationaux dès que des décisions démocratiques mettraient en cause leurs intérêts. Sécurité des aliments, normes de toxicité, assurance-maladie, prix des médicaments, liberté du Net, protection de la vie privée, énergie, culture, droits d’auteur, ressources naturelles, formation professionnelle, équipements publics, immigration : pas un domaine d’intérêt général qui ne passe sous les fourches caudines du libre-échange institutionnalisé.
La protection des données et les droits de propriété intellectuelle
Un risque particulièrement grave en matière de en matière de protection des données et de les droits de propriété intellectuelle.
Dans une société démocratique, la vie privée est essentielle à la mise en œuvre d’autres droits fondamentaux, tels que les droits d’expression ou d’association. Or, les géants du net – qui tous made in US – ont aujourd’hui intérêt à voir assouplie la protection de ce droit fondamental, afin de tirer profit des informations les concernant, par leur collecte, leur traitement, leur stockage et leur commerce.
Reste donc la question : la négociation TAFTA constitue-t-il une plateforme pour affaiblir le régime de protection européen des données personnelles et le réduire au niveau quasi-inexistant des USA ?
Sur les droits de propriété intellectuelle, ils devraient être inclus dans la définition « d’investissements » protégés par le TAFTA et donc sujet aux mécanismes de règlement des différends investisseurs-États. Une chose choquant aussi d’un point de vue économique, car notre industrie high-tech est bien plus faible que l’industrie étasunienne. Vous avez bien trouvé cet article sur Google, n’est pas ?
Le Conseil Général du Tarn vote le département Hors Tafta !
Le Tarn s’est déclaré hors Tafta et demande la suspension des négociations en l’attente d’un large débat public.
Le Conseil général du Tarn a également décidé : » d’ouvrir un débat régional sur les risques de nivellement par le bas des règles sociales, économiques, sanitaires, culturelles et environnementales que représenterait la mise en œuvre des accords de libre-échange approuvés par l’Union européenne. Sur la base des engagements de la Charte de la participation, ce débat se fera notamment en organisant des auditions. »
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Assemblée plénière du jeudi 3 avril 2014
Motion déposée par Roland FOISSAC et Serge ENTRAYGUES
Pour l’arrêt des négociations sur le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement
Le 14 juin 2013, la Commission européenne a obtenu mandat de la part de tous les États membres pour négocier avec les États-Unis le Transatlantic free trade area (TAFTA). Cet accord cherche à instaurer un vaste marché de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis, allant au-delà des accords de l’OMC.
Ce projet de Grand marché transatlantique vise le démantèlement des droits de douane restants, entre autres dans le secteur agricole, comme la suppression des « barrières non tarifaires » qui amplifierait la concurrence débridée et empêcherait la relocalisation des activités. Il conduirait à un nivellement par le bas des règles sociales, économiques, sanitaires, culturelles et environnementales, aussi bien en Europe qu’aux États-Unis. Ainsi, la production de lait et de viande avec usage d’hormones, la volaille chlorée et bien d’autres semences OGM, commercialisées aux États-Unis, pourraient arriver sur le marché européen. Inversement, certaines régulations des marchés publics et de la finance aux États-Unis pourraient être mises à bas.
Cet accord serait un moyen pour les multinationales d’éliminer toutes les décisions publiques qui constituent des entraves à l’expansion de leurs parts de marché, consacrant la domination des multinationales européennes comme américaines et la domination des États-Unis.
Ce projet pourrait introduire un mécanisme d’arbitrage privé « investisseur-État », qui se substituerait aux juridictions existantes. Les investisseurs privés pourraient ainsi contourner les lois et les décisions qui les gêneraient, permettant par exemple aux pétroliers d’imposer en France l’exploitation des gaz de schistes et autres hydrocarbures dits non conventionnels. Une telle architecture juridique limiterait les capacités déjà faibles des États à maintenir des services publics (éducation, santé, etc.), à protéger les droits sociaux, à garantir la protection sociale, à maintenir des activités associatives, sociales et culturelles préservées du marché, à contrôler l’activité des multinationales dans le secteur extractif ou encore à investir dans des secteurs d’intérêt général comme la transition énergétique.
Au-delà des échanges de marchandises, le Grand marché transatlantique achèverait l’ouverture à la concurrence des échanges immatériels. Le projet d’accord prévoit d’introduire de nouvelles mesures relatives aux brevets, droits d’auteur, protection des données, indications géographiques et autres formes de la dite « propriété intellectuelle », faisant revenir par la petite porte le défunt ACTA (Accord commercial anti-contrefaçon), refusé en juillet 2012 par les eurodéputés, suite à une large mobilisation des citoyens européens.
Discrètement, de puissants lobbies européens et transatlantiques sont déjà à la manœuvre pour élaborer avec la Commission européenne, seule autorité en charge des négociations au nom de tous les États membres, les termes d’un éventuel accord d’ici 2015. À l’inverse, les citoyens, les mouvements sociaux, les parlementaires européens, n’ont pas accès aux informations sur les négociations en cours. Le secret sur les textes limite également les capacités des pays en développement d’intervenir, alors qu’un tel accord aurait des répercussions juridiques et sociales sur l’ensemble du monde.
Le Grand marché transatlantique serait une atteinte nouvelle et sans précédent aux principes démocratiques fondamentaux. Il ne ferait qu’aggraver la marchandisation du monde, avec le risque de régressions sociales, environnementales et politiques majeures.
L’accord multilatéral sur l’investissement (AMI) en 1997, puis l’Accord commercial anti-contrefaçon en 2012, qui comportaient les mêmes dangers ont été rejetés en leur temps. A présent il convient de stopper le Grand marché transatlantique en impulsant dans le Tarn une dynamique citoyenne de refus. A ce titre les élus départementaux, réunis en assemblée plénière, ce vendredi 4 avril 2014 décident :
d’ouvrir un débat régional sur les risques de nivellement par le bas des règles sociales, économiques, sanitaires, culturelles et environnementales que représenterait la mise en œuvre des accords de libre-échange approuvés par l’Union européenne. Sur la base des engagements de la Charte de la participation, ce débat se fera notamment en organisant des auditions.
d’agir par tous les moyens possibles pour empêcher la mise en œuvre du TTIP et de soutenir les collectivités locales du département du Tarn qui s’engageraient dans cet objectif.
de déclarer le département du Tarn « zone hors TTIP » comme il l’avait fait, avec une quarantaine de communes, en se déclarant « hors AGCS ».
Et mandatent le président du Conseil départemental pour saisir le gouvernement et les institutions européennes quant à :
l’arrêt des négociations sur le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) dit Grand Marché Transatlantique du fait de l’absence de contrôle démocratique et de débat public sur les négociations en cours.
la diffusion publique immédiate de l’ensemble des textes relatifs aux négociations du TTIP qui représentent une attaque sans précédent contre la démocratie.
l’ouverture d’un débat national sur le GMT et plus généralement sur l’ensemble des accords de libre-échange impliquant la pleine participation des collectivités territoriales, des organisations syndicales et associatives, des organisations socioprofessionnelles et des populations.
Le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP ou Tafta) sera l’un des enjeux majeurs des prochaines élections européennes. En effet, c’est au prochain Parlement européen qu’il reviendra de ratifier – ou non – l’accord de libre-échange en cours de négociation entre l’Union européenne et les États-Unis. Les citoyens doivent profiter de la campagne des européennes pour s’emparer de ce débat et exprimer clairement leur position sur cet accord soutenu par les sociaux-démocrates et les conservateurs européens, au premier rang desquels le PS et l’UMP.
Et pour cause: le Tafta est nettement plus ambitieux qu’un simple accord commercial visant à abaisser les tarifs douaniers. D’une part parce que les tarifs douaniers entre l’UE et les USA sont déjà dans la plupart des secteurs extrêmement bas. D’autre part parce que l’objectif est avant tout de supprimer les obstacles non-tarifaires, en harmonisant les normes et les réglementations de chaque côté de l’Atlantique.
L’accord risque ainsi de remettre en cause les normes sanitaires et phytosanitaires européennes, que les industriels agroalimentaires américains jugent trop contraignantes et coûteuses (interdiction en Europe du bœuf aux hormones et des poulets chlorés, OGM). Idem pour la production du vin qui, outre-Atlantique, répond à des critères de qualité bien moins exigeants qu’en Europe. Adieu principe de précaution et agriculture durable.
De même, comment ne pas voir dans le TTIP le prolongement des tentatives répétées des Américains d’accéder aux données personnelles des Européens, estimées à 315 milliards d’euros, et de contourner la “ trop protectrice ” réglementation européenne sur les données personnelles qui vient d’être adoptée par la Parlement européen. Ce n’est pas par hasard qu’Amazon, Google, Facebook, Apple, Microsoft et autres empires «dataphages» poussent à la conclusion de cet accord de libre-échange. Le scandale de la NSA a montré combien les approches de la protection de la vie privée divergent des deux côtés de l’Atlantique.
La méthode proposée pour élaborer ces normes communes UE/USA est, en outre, très contestable. Sous le prétexte que l’UE est dotée d’un système législatif et réglementaire complexe, l’accord Tafta pourrait lui substituer la coopération d’experts en lieu et place du Parlement et du Conseil. En réalité, nos partenaires américains estiment que la législation européenne laisse trop de place à la subjectivité de l’opinion publique, aux attentes des citoyens, au détriment de l’expertise scientifique. Tout aussi contestable, la proposition de tribunaux privés d’arbitrage permettant à toute entreprise ou investisseur américain de porter plainte contre un État européen dont une mesure pourrait porter atteinte à ses profits, présents ou à venir.
Au-delà des contenus, c’est le principe même de cet accord qui pose problème. Dire oui aux négociations sur le TTIP, c’est prendre le risque que les normes américaines puissent prendre le dessus sur les normes UE et hypothéquer l’achèvement d’un marché intérieur européen protecteur pour ses citoyens et ses entreprises.
N’en déplaise aux socialistes français, le TTIP est une entorse, et non des moindres, au principe de juste échange Nord-Sud qu’ils soutiennent. Avec cet accord, Américains et Européens cherchent à imposer dans la mondialisation un géant économique qui représenterait 40% du commerce mondial. Si les Américains concluent en parallèle l’accord qu’ils négocient avec la zone Asie-Pacifique, ils se retrouveront au centre, géographique et surtout normatif, de 70% du commerce mondial. Avec quels effets sur le reste du monde?
Ne soyons pas dupes des arguments utilisés par les artisans du TTIP, à commencer par la création d’un million d’emplois en Europe que l’on nous fait miroiter régulièrement. Il s’agit là de l’estimation la plus optimiste d’un think-tank londonien ultralibéral, et valable essentiellement pour l’Allemagne et le Royaume Uni (400.000 emplois chacun) et à l’horizon 2030. Entre-temps, combien d’emplois perdus dans les filières qui se trouveront soumises à rude concurrence (agriculture, hautes technologies, automobile…) ? Les syndicats européens sont plus que circonspects. Ils ont raison de l’être, quand on sait que les États-Unis n’ont signé que deux des huit conventions de l’Organisation internationale du travail!
Il y a bientôt en vingt ans, François Mitterrand l’Européen mettait en garde les futurs négociateurs de l’UE qui «commettraient […] une erreur si, par impatience ou lassitude, ils laissaient les élargissements se faire dans des conditions qui affaibliraient la cohésion et les disciplines de l’Union». Le TTIP n’est pas un accord commercial anodin, c’est un élargissement en soi, une fuite en avant libérale qui risque de remettre aux calendes grecques l’approfondissement politique de l’UE et de sacraliser de façon irréversible la toute-puissance du marché sur le sol européen.