Publié : 26/05/2016 | Auteur : Non merci | Classé dans : "-- Gaz de schiste, "-- ISDS - RDIE - ICS Arbitrage Investisseur-État, "-- Sécurité Alimentaire - OGM, *.Accord UE/USA / TAFTA / TTIP, -- Education, -- Santé - Retraites, -- Services Publics, cooperation reglementaire |
Traité transatlantique (TAFTA) : la CLCV hors TAFTA !
Plusieurs dénominations désignent le projet de « grand marché transatlantique », qu’elles soient anglophones (TAFTA – Trans Atlantic Free Trade Agreement ; TTIP – Transatlantic Trade and Investment Partnership) ou francophones (PTCI – Partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement).
L’objectif officiel de ce projet de traité de libre-échange entre les USA et l’Union européenne est de libéraliser les échanges commerciaux entre les deux parties en éliminant les droits de douane et en harmonisant les normes culturelles, économiques, sociales et environnementales.
Le 13e cycle de négociations s’est ouvert à New York le lundi 25 avril 2016. Le président américain s’est rendu en Europe le 24 avril pour reprendre l’offensive en vue de la signature du TAFTA à l’automne 2016 avant son départ de la Maison Blanche.
L’événement nouveau, c’est la diffusion de 248 pages confidentielles le mai 2016 par Greenpeace (soit la moitié du projet de traité).
Cette fuite heureuse permettra enfin aux citoyens et à la société civile de juger sur pièces un texte que la Commission européenne a toujours refusé de diffuser alors que les lobbies économiques, eux, sont partie prenantes des négociations.
Revue de la question en six points :
1- Déficit démocratique
Le 14 juin 2013, le Conseil de l’Union Européenne (chefs d’Etats et de gouvernements) a donné mandat à la Commission Européenne d’ouvrir des négociations avec les États-Unis en vue d’aboutir à un accord transatlantique pour créer le plus vaste marché du monde. Les négociations sont menées depuis cette date par la Commissaire en charge du commerce international, Cecilia Malmström, sur ce mandat qui n’a été rendu public que partiellement et tardivement (en octobre 2014 avec la nouvelle Commission européenne).
De plus, les négociations qui se déroulent par étapes (Miami en novembre 2015, Bruxelles en mars 2016, New York en avril 2016) ne sont pas accessibles au grand public. Les textes ne peuvent être consultés par les députés européens que dans certaines salles, une fois déposés les téléphones portables et sous la surveillance d’un fonctionnaire (sic !) … Notons que pour autant, 78 % des députés européens ont validé le principe du traité en 2013. Pour la Commission européenne, les citoyens et les élus n’ont donc qu’à rester chez eux. Le commerce international, c’est l’affaire de quelques technocrates…
Certes, la Commission de Bruxelles a organisé le 6 juillet 2014, pour répondre aux critiques, une consultation par internet en invitant les citoyens à donner leur opinion sur 12 aspects du traité. Mais cette consultation, d’une part, ne permettait pas de manifester son opposition au projet et, d’autre part, ne portait que sur la mise en place du dispositif de règlement des conflits (voir point n° 2) ! De toute façon, la Commissaire au commerce a refusé de prendre en compte les 150 000 réponses négatives, jugeant qu’il ne s’agissait que d’une seule et même réponse !
Pour la CLCV, ce secret est inadmissible et antidémocratique. Ce mandat ainsi que tous les textes négociés doivent être rendus publics et mis au débat ! A l’heure où beaucoup de citoyens s’interrogent sur le déficit démocratique donc souffre l’Union, cette position ne fait que renforcer les euro-sceptiques.
2- Un libre-échange qui s’appelle déréglementation des droits des consommateurs pour le plus grand profit des entreprises
Cet accord de libre-échange vise à constituer un marché commun de 820 millions de consommateurs qui pèserait 45 % du PIB de la planète. Mais cet accord ne porte pas principalement sur les droits de douane, car les droits de douane moyens entre les deux zones sont aujourd’hui très faibles (de l’ordre de 2 % seulement : 5,2 % en Europe contre 3,5 % aux USA), même s’il y a des pics tarifaires : par exemple, les USA imposent des taxes de 22 % sur les produits laitiers de l’Europe et l’Union européenne protège l’agriculture avec des droits de douane de 13%.
En réalité, l’objet de l’accord c’est en priorité l’élimination des barrières dites non tarifaires, c’est-à-dire la réduction, voire la suppression des normes sociales, culturelles, écologiques, sanitaires et d’hygiène dont les USA (et en premier lieu leurs multinationales) ne veulent pas car elles sont selon eux un obstacle à la libre concurrence et la liberté des exportations.
Or, il faut rappeler que la France et l’Europe disposent d’un niveau élevé de protection des consommateurs approuvé par le parlement européen et les pouvoirs publics français. C’est le résultat de batailles menées au fil des ans par les organisations de consommateurs.
Ces acquis pourraient être remis en cause, et notamment :
* en matière alimentaire :
– l’étiquetage le plus complet possible des produits notamment alimentaires (composition, origine…) : par exemple, aux USA, n’importe quel producteur peut choisir de qualifier sa production d’un nom européen (Champagne, Porto, etc.).
– l’interdiction d’utiliser l’hormone de croissance dans les élevages ;
– l’interdiction du poulet nettoyé au chlore, utilisé couramment aux USA ! ;
– l’interdiction de la culture des OGM aujourd’hui banalisée aux USA ;
– le faible niveau de pesticides ;
– les indications géographiques et appellations d’origine contrôlée (plusieurs centaines) ; A noter que dans le CETA (traité en cours de ratification entre Canada et Europe), sur 50 AOP laitières seules 28 sont reconnues…) ;
* dans le domaine de la santé :
– les produits génériques ;
* dans le domaine des services publics :
– les services d’urgence pourraient être privatisés ;
– le statut des caisses primaires d’assurance maladie pourrait être contesté au nom de la concurrence ;
– certains services de l’Éducation nationale seraient remis en question (cantines scolaires et universitaires)
– le champ des services publics pourrait être fortement réduit ;
– l’eau pourrait être privatisée : remise en question des sociétés publiques locales (par exemple de l’eau, comme à Brest) ;
* dans le domaine de l’énergie :
– liberté totale des prix du gaz et de l’électricité ;
– l’interdiction de la fracturation hydraulique pour exploiter le gaz de schiste serait considérée comme une atteinte au droit de l’entreprise.
Toutes ces règles et spécificités françaises et européennes pourraient être condamnées comme « barrières commerciales illégales ». La Commission européenne nous dit bien sûr que l’on ne touchera pas au mieux-disant européen, mais nous n’avons aucune garantie que les normes de protection actuelles ne seront pas réduites dans le temps. C’est en tout cas ce qui se passe avec d’autres accords commerciaux : c’est la réglementation la plus protectrice qui, au fil du temps, est tirée vers le bas.
Il faut aussi dire qu’aujourd’hui, on sent déjà comme un effet pré-TAFTA dans les dernières décisions de l’Union européenne :
– adoption de la directive sur le secret des affaires deux jours avant son adoption par les USA ;
– renouvellement de l’autorisation du glyphosate (molécule présente dans le Round up de Monsato) ;
– nouvelles études pour analyser les perturbateurs endocriniens, alors que la décision devait être prise en 2013 et que l’inaction de la Commission européenne a été condamnée par la Cour de justice en décembre 2015.
Par ailleurs, le principe de précaution européen (art. 191 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) n’est pas évoqué dans les 248 pages qui ont fuité. Que dit ce principe ? Si les données scientifiques ne permettent pas une évaluation complète du risque présenté par des produits, le recours à ce principe permet par exemple d’empêcher la distribution ou même de retirer du marché des produits susceptibles d’être dangereux. En revanche, le principe américain fondé sur le risque et les dommages a posteriori et qui vise à gérer les produits dangereux plutôt que à les éviter est inclus dans le document.
Pour la CLCV, les principes français et européens, fruit de luttes et négociations historiques, sont des acquis essentiels. Ils sont désormais partie intégrante de nos valeurs, de notre culture, de notre héritage commun. Ils protègent les consommateurs-citoyens qui ne peuvent accepter que ces droits soient tirés vers le bas ou simplement supprimés. A la Commission européenne de se battre pour maintenir un haut niveau de protection des consommateurs. Certes, la Commission européenne a annoncé qu’elle ne baisserait pas ses exigences en ce qui concerne les normes sanitaires et d’hygiène. Mais les consommateurs devront être vigilants sur cette question et refuser catégoriquement toute déréglementation.
3- Des tribunaux privés qui bafouent l’indépendance de la justice et la démocratie
C’est le point le plus contesté par la société civile. Les litiges existants seraient portés par les entreprises lésées par les décisions des Etats devant un tribunal arbitral supranational qu’on appelle « ISDS ». Dans les nombreux accords de libre-échange existant dans le monde, une telle juridiction privée est en général composée de trois arbitres : l’un représentant le demandeur, l’autre le défendeur, le troisième étant choisi d’un commun accord par les deux parties, en général sur une liste proposée par des instances arbitrales privées (Chambre de commerce internationale de Paris, Chambre de commerce de Stockholm ou Centre international pour le règlement des différends de Washington). Un même arbitre peut remplir successivement les trois missions…
Ce système est déjà mis en œuvre dans de nombreux accords bilatéraux et au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) depuis 1985, où la légitimité de l’Organe de règlement des différends (ORD) est aujourd’hui largement contestée. Quant à l’OMC, elle est complètement contournée par les accords bilatéraux et dépassée par la montée en puissance des pays émergents.
Cette procédure n’est donc pas indépendante (d’ailleurs les arbitres ne sont soumis à aucune déontologie). Elle est opaque au plus haut point et coûteuse (1 000 € l’heure d’un arbitre !). Enfin, elle ne peut être contestée en appel.
Selon les statistiques fournies par l’ONU, 60 % des affaires arbitrées sur le fond ont une issue favorable aux entreprises privées. En fait, « les Etats ne gagnent jamais. Ils peuvent seulement ne pas perdre. Seuls les investisseurs obtiennent des dommages et intérêts… » (Howard Mann, CNUCED, 24 juin 2015).
Pour ce qui est du TAFTA, ce sont les articles 23 et 27 du mandat donné par le Conseil européen qui évoquent ce tribunal : « L’accord devrait viser à inclure un mécanisme de règlement des différends investisseurs/Etats efficace et des plus modernes … l’accord sera obligatoire pour toutes les institutions ayant un pouvoir de régulation et les autorités compétentes des deux parties ».
Cette justice privée qui dit le droit à la place des institutions démocratiques permet de se soustraire aux juridictions nationales dont un pays s’est librement doté et pose problème, notamment au regard de la Constitution française. Des Etats ont donc demandé le retrait pur et simple du mécanisme de règlement de la négociation.
Pour faire face à la double contestation (société civile et questionnement du parlement européen et de parlements nationaux), la Commission européenne a organisé en 2014 une consultation sur les modalités du mécanisme de règlement qui a reçu 150 000 réponses, à 97 % hostiles à l’ISDS.
La Commission européenne a alors proposé un nouveau mécanisme de règlement se composant d’une cour publique (Cour des investisseurs), ce qui ne change rien au fond du problème puisque la souveraineté locale pourrait toujours être remise en cause au nom d’intérêts économiques et financiers. A travers ces traités, on assiste à la naissance d’une nouvelle hiérarchie des valeurs et des normes où le droit privé économique l’emporte sur les droits démocratiques sociaux environnementaux.
Pour la CLCV, cette procédure arbitrale privée ou publique qui se place d’emblée au-dessus des lois des Etats ne respecte pas le droit démocratique des peuples à disposer de leur destin. Elle est totalement inacceptable. Faut-il rappeler qu’une instance de coopération réglementaire pourrait voir le jour dans le cadre du traité et qu’elle ferait pression sur les parties pour que les législations respectives respectent l’accord de libre-échange ! La Commission européenne doit s’y opposer catégoriquement !
4- Des principes et des accords internationaux absents ou qui sont remis en cause dans le projet de traité !
– Pas de référence au principe européen de précaution comme nous l’avons vu précédemment
– Pas de référence à la règle « Exceptions générales » de l’accord du GATT de l’Organisation mondiale du commerce qui permet aux pays d’encadrer le commerce « pour protéger la vie animale et végétale, la santé humaine et la conservation des ressources naturelles épuisables »
– Pas de référence à l’accord international de Paris dans le cadre de la COP 21 (objectif affiché de moins de 1,5° de réchauffement) suppose des révisions majeures des émissions de gaz à effet de serre auquel les relations commerciales doivent être soumises.
5- Des créations d’emploi bien aléatoires
Il y a derrière ce traité l’idée que la « libéralisation » absolue des échanges sera créatrice d’emploi. C’était déjà l’objectif de l’accord de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1994. Selon une étude, l’accord permettrait de créer 2 millions d’emplois entre les USA et l’Europe, dont 121 000 en France. Mais selon une autre étude demandée par la Commission européenne, les gains de croissance par rapport au PIB seraient minimes : de 0,1 à 0,5 % en 10 ans en Europe ! D’autres études estiment que le gain serait nul puisque les échanges entre les pays européens diminueraient au profit des USA… En tout état de cause, les études de la Banque mondiale et de la CNUCED démontrent qu’on ne peut établir un lien statistique entre ce genre de traité et la croissance des investissements.
6- Les prises de position des pouvoirs publics et le mouvement citoyen contre le TAFTA
Rappelons que le 22 mai 2014, l’Assemblée nationale a adopté une résolution sur le TAFTA qui rappelle les lignes rouges fixées par la France (OGM, traitement des poulets au chlore, bœuf aux hormones, réglementation des produits chimiques), refuse tout ajustement par le bas de la qualité des législations en matière d’environnement, de sécurité et de santé, ainsi que tous tribunaux privés qui se substituent à la souveraineté nationale, et demande enfin la transparence des négociations menées.
Le Secrétaire d’État au Commerce extérieur, Mathias Fekl, a proposé que le tribunal privé soit remplacé par une cour internationale publique et annoncé (journal Sud-Ouest du 27 septembre 2015) que la France envisageait toutes les options, y compris l’arrêt pur et simple des négociations transatlantiques qui se passent dans un manque total de transparence et dans une grande opacité, ce qui pose un problème démocratique. Enfin, il a considéré que « le parlement français aura le dernier mot », considérant qu’il ne s’agit pas là d’une compétence exclusive de l’Union européenne. Deux sujets clés pour la France : la réciprocité commerciale (c’est-à-dire l’ouverture réciproque des marchés publics, ceux de la France étant plus ouverts) et la reconnaissance des indications géographiques qui protégerait certaines productions agricoles.
Dans une résolution adoptée le 3 février 2015, le Sénat a reproché au gouvernement et à l’Europe un déficit démocratique dans la gestion des négociations sur le TAFTA. Il demande au gouvernement de corriger le tir pour que la sécurité et les intérêts des consommateurs restent la priorité des négociations et que l’harmonisation des règles n’affecte pas la santé des consommateurs et ne mette pas en cause les normes de qualité exigibles.
Le Président de la République, qui avait en 2014 approuvé le traité, a déclaré lors d’un colloque le 3 mai 2016 : « Jamais nous n’accepterons la mise en cause des principes essentiels pour notre agriculture, notre culture pour la réciprocité et pour l’accès aux marchés publics ».
Mais surtout, la société civile et les collectivités locales se mobilisent comme en témoigne l’ampleur que prend le mouvement « hors TAFTA » en France comme en Europe :
– Une grande pétition européenne (ICE) « Stop TAFTA » a recueilli 3,3 millions de signatures dans 14 pays différents.
– Plus de 200 000 personnes ont manifesté le 15 octobre 2015 à Berlin puis en avril 2016 à Hanovre contre le TAFTA, pays où seuls 17 % approuvent encore le traité. Le parlement wallon refuse la signature du TAFTA.
– En France, 650 collectivités (1 600 en Europe) se déclarent « hors TAFTA ». IL est vrai que le traité remettrait en cause les prérogatives des collectivités locales fixées par la Constitution !
14 conseils régionaux, 22 départements et plus de 550 communes ont manifesté leur vigilance, voire demandé l’abandon des négociations TAFTA :
* régions : Ile de France, PACA, Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, Picardie, Nord-Pas de Calais, Franche-Comté, Champagne-Ardennes, Pays de Loire, Poitou-Charentes, Corse…
* départements : Hérault, Seine-Saint-Denis, Corrèze, Somme, Pyrénées Atlantiques, Dordogne, Essonne, Yonne, Allier, Val de Marne, Deux Sèvres, Haute Saône, Nièvre, etc
* communes : Dunkerque, Cherbourg, Grenoble, Périgueux, Dieppe, Saint-Herblain, Poitiers, etc.
* et dans le Finistère : Trégunc, Saint-Jean-Trolimon, Botmeur, Saint-Yvi, Berrien, Huelgoat, Carhaix, La Feuillée, Motreff, Bannalec, Guipavas, Pouldreuzic, Quimper, etc. Brest est en vigilance hors TAFTA.
Les 21 et 22 avril 2016, une rencontre à Barcelone d’une quarantaine de villes européennes hors TAFTA a adopté une déclaration anti-TAFTA.
***
En conclusion, l’enjeu de ces négociations dont le terme est annoncé pour la fin 2016 (fin de mandat du président américain) est certainement, au-delà du marché commun transatlantique, d’imposer un jour à l’ensemble de la planète ces normes communes qui auraient été négociées de part et d’autre de l’Atlantique. C’est pourquoi l’Union européenne ne doit céder ni sur le haut niveau de protection des consommateurs, ni sur le tribunal arbitral.
La CLCV considère que, face à un tel projet, les consommateurs et les citoyens doivent se mobiliser car si le Conseil européen peut autoriser la signature d’un accord négocié par la Commission libérale de Bruxelles, seul le Parlement européen (qui sur le principe a déjà donné son accord) peut le ratifier. Par ailleurs, comme ce projet traite de compétences dites partagées, le projet devrait aussi être ratifié par les parlements des 28 Etats de l’Union européenne. La Cour de justice de l’UE va être saisie pour trancher ce point majeur.
Compte tenu notamment du secret dans lequel se déroulent les négociations, du caractère inacceptable du mécanisme de règlement des conflits, de la remise en question du fort niveau de protection des consommateurs dont nous disposons actuellement, la CLCV demande l’arrêt des discussions sur le TAFTA. Elle estime, avec le Bureau européen des unions de consommateurs dont fait partie la CLCV, qu’un traité n’est pas nécessaire si les parties veulent vraiment faire progresser une coopération volontaire.
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Publié : 21/05/2014 | Auteur : Non merci | Classé dans : "-- Gaz de schiste, "-- ISDS - RDIE - ICS Arbitrage Investisseur-État, "-- Sécurité Alimentaire - OGM, *.Accord UE/USA / TAFTA / TTIP, -- Données personnelles, -- Education, -- Santé - Retraites, -- Services Publics, Accord ALENA - (USA-Canada-Mexique), Vu de France |
Les élections européennes sont sans soute les plus importantes cette année et on ne vous le dit pas ! Les futurs eurodéputés diront oui ou non au Traité de Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement. Voter à ces élections est le seul moyen dont nous disposons, nous, citoyens d’Europe, pour faire en sorte que ce traité, qui remettrait en cause notre mode de vie, ne soit jamais signé.

Les élections européennes se déroulent le dimanche 25 mai 2014. Depuis des semaines, les médias ne nous parlent que, avec une gravité feinte, de l’abstention qu’ils annoncent massive et, avec une délectation à peine dissimulée, du score du FN qu’ils prédisent stratosphérique.
Du fond et des idées, on commence à peine à parler et les jours sont maintenant comptés avant le scrutin. Alors, il faut aller à l’essentiel.
Ces élections ne sont pas une péripétie de la vie « démocratique » nationale et européenne.
La raison est simple : les députés qui seront élus devront, dans quelques mois, se prononcer pour ou contre le traité de Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement.
Ce traité est aussi appelé TTIP pour « Transatlantic Trade and Investment Partnership », GMT pour « Grand Marché Transatlantique » ou encore TAFTA pour « Transatlantic Free Trade Area”.
Si vous fréquentez les arrière-cours du net, vous avez déjà entendu parler de ce traité et de ses dangers depuis des mois voire des années. Si vous vous contentez de la télé et de la radio, il est probable que vous avez découvert son existence il y a peu.
L’origine : l’échec des négociations de l’OMC au niveau mondial
A la suite de l’échec des négociations menées au niveau de l’OMC (cycle de Doha), les Etats-Unis ont décidé de mettre en place des accords régionaux ne risquant pas de rencontrer l’opposition des états émergeants. Deux traités sont donc négociés : Le Partenariat Trans-Pacifique (PTP) implique principalement, outre les USA, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les Philippines, la Thaïlande … et le partenariat transatlantique qui implique les Etats de l’Union Européenne.
Les Etats-Unis font le pari que les règles les plus libérales de l’OMC, rendues applicables dans ces deux marchés, s’imposeront de fait au reste du monde et notamment aux BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud).
Des négociations opaques et sous l’influence des multinationales
Côté européen, c’est la Commission qui négocie l’accord avec les américains.
Pour cela, la Commission a reçu un mandat des Etats, mandat qu’elle a elle-même préparé et rédigé en collaboration étroite avec les représentants des milieux patronaux et financiers (93 % des 130 réunions préparatoires se sont tenues avec des multinationales).
Le mandat a été formellement adopté par les Etats au mois de juin 2013. Ont officiellement connaissance du contenu de ce mandat, les chefs d’Etats et la Commission. Ont officieusement connaissance du mandat, les lobbies qui ont participé à sa rédaction et qui assistent la Commission dans les négociations et les Etats-Unis puisqu’il est établi qu’ils espionnaient les institutions européennes et certains chefs d’Etat comme la Chancelière allemande. Sont officiellement tenus dans l’ignorance du contenu du mandat, les parlementaires européens et nationaux et bien évidement les citoyens européens …
Concrètement, c’est le commissaire européen au Commerce, Karel De Gucht, qui négocie pour l’Europe. Karel De Gucht est un ultralibéral adepte du tout marché et de la dérégulation, soupçonné de fraude fiscal dans son pays …
Officiellement, le secret qui entoure ce mandat et ces négociations est justifié par la nécessité de ne pas dévoiler à l’autre partie les marges de manœuvre dont on dispose. On sait ce qu’il en est du secret du mandat vis-à-vis des grandes oreilles américaines…
La vraie raison de ce secret et de l’absence de débat public sur ce sujet est que si les citoyens étaient informés, ils s’opposeraient à ce projet de traité.
François Hollande l’a bien compris, lui qui a déclaré lors d’un voyage officiel à Washington : « Nous avons tout à gagner à aller vite. Sinon, nous savons bien qu’il y aura une accumulation de peurs, de menaces, de crispations ».
Pourquoi donc devrions-nous avoir peur ?
Une remise en cause programmée de notre mode de vie
Ce traité, s’il entre un jour en vigueur, bouleversera nos vies et nos sociétés.
Le mandat donné à la Commission stipule :
« L’Accord prévoira la libéralisation réciproque du commerce des biens et services ainsi que des règles sur les questions en rapport avec le commerce, avec un haut niveau d’ambition d’aller au-delà des engagements actuels de l’OMC. »
Pour atteindre ces objectifs, il est prévu deux types de mesures.
Tout d’abord, la suppression des droits de douane. Cette mesure impactera essentiellement l’agriculture européenne l’exposant à des importations massives de produits agricoles américains bon marchés car produits selon des normes sociales, sanitaires et écologiques plus basses que celles en vigueur en Europe. Ceci contribuera, dans une course à la productivité, à une industrialisation maximum de l’agriculture impliquant un recours accru aux engrais et pesticides.
Le second type de mesures consiste à réduire « les barrières non tarifaires ». Concrètement, cela veut dire éliminer toutes les normes jugées inutiles pouvant gêner le commerce. On touche là au cœur du problème car ces barrières non tarifaires ne sont rien d’autre que nos normes sociales, sanitaires, alimentaires, environnementales, techniques …
L’objectif est d’arriver à une harmonisation des réglementations. La norme la moins contraignante deviendra dans la majorité des cas la règle commune. On imagine mal en effet, un traité ayant pour objectif de favoriser le commerce imposer à l’une des parties des règles plus contraignantes que celles jusque-là en vigueur.
Or, majoritairement, ces normes sont moins contraignantes aux Etats-Unis notamment en matières sociale, alimentaire ou environnementale. Les USA n’ont pas ratifié les conventions de l’organisation Internationale du Travail (OIT). Les USA n’ont pas ratifié le Protocole de Kyoto….
Concrètement, ce traité conduira immanquablement à une dérégulation, à une baisse des standards dans de nombreux domaines. Les victimes en seront les consommateurs, les salariés, l’environnement …
Il ne sera ainsi plus possible de refuser l’exploitation du gaz de schistes, l’importation de bovins élevés aux hormones, la culture d’OGM, l’importation de volailles lavées au chlore, la vente libre des armes … toutes restrictions qui seront qualifiées d’entraves inutiles au commerce !
Les partisans du traité argueront du fait que plusieurs fois le texte mentionne la protection des droits sociaux et environnementaux. Ils oublieront de vous préciser qu’il s’ agit toujours de vœux pieux non contraignants.
Ce traité, du fait de l’application maximum des principes de l’OMC, notamment celui du traitement national, conduira à un mouvement de privatisations dans les domaines de l’éduction, de la santé et de la sécurité sociale.
Une justice sur mesure pour les multinationales
Pour faire respecter ce traité est prévu un « mécanisme de règlement des différends entre Etats et investisseurs ».
Si une multinationale estime qu’un Etat viole le traité, par exemple en prenant une loi trop protectrice de l’environnement dont le respect engendre un surcoût pour elle, elle pourra porter le litige, non pas devant une juridiction étatique nationale mais devant des arbitres privés. C’est une déclinaison du système de l’arbitrage pratiqué dans le monde des affaires, le dossier Tapie ayant démontré les merveilles que peut produire ce mode de règlement des litiges …
Un Etat sera donc jugé par des arbitres privés dont la décision ne sera pas susceptible d’appel. Si l’Etat est reconnu coupable, il devra soit renoncer à sa loi, votée par les représentants du peuple, soit payer une amende de quelques millions voire milliards d’euros pour dédommager la multinationale privée du gain espéré.
Un tel mécanisme existe déjà dans le cadre de l’ALENA, l’accord de libre-échange liant les Etats-Unis, le Mexique et le Canada. En 20 ans de pratique, l’Etat canadien a été attaqué 30 fois par des multinationales. Le Canada a perdu 30 fois.
Ce système est taillé sur mesure pour les multinationales qui pourront imposer aux Etats ou toutes collectivités publiques de renoncer à des règles prises dans l’intérêt général.
Des avantages impossibles à démontrer
Comment justifie-t-on économiquement ce traité ? Car favoriser le commerce pour favoriser le commerce c’est un peu court.
La Commission a donc mandaté un organisme « indépendant », le Center for Economic Policy Research. Celui-ci a conclu qu’à l’horizon 2027, on pouvait attendre une augmentation de 0,5 % du PIB européen et la création de 400.000 emplois.
Vous avez bien lu ! Dans 13 ans, on peut espérer que le traité transatlantique aura généré un misérable gain de 0,5 % du PIB européen et créé 400.000 emplois alors que l’Europe compte aujourd’hui 26 millions de chômeurs !
On pourrait penser que c’est un adversaire du monde des affaires qui a réalisé cette étude mais non. Le directeur du CEPR, Guillermo de la Dehesa, est conseiller de la banque d’affaires américaine Goldman Sachs depuis 1988, membre du comité exécutif de la banque Santander, conseiller du laboratoire pharmaceutique Lily, président des Assurances Aviva depuis 2000. Il était aussi un des dirigeants de la branche Europe de Coca Cola de 2004 à 2006.
On peut en conclure que cette étude est très optimiste…
Ce traité n’aura donc pas ou peu d’impact sur le volume de notre économie.
Faisons le bilan de tout cela.
Qui va y gagner ? Réponse : les multinationales qui verront les contraintes sociales, sanitaires et environnementales fondre comme neige au soleil, leur permettant de produire à moindre coût.
Qui va y perdre ? Réponse : nous les citoyens qui verront les normes protectrices reculer, les services publics attaqués, notre souveraineté bafouée.
Ce sont 200 ans de progrès sociaux, les fondements de notre République qui sont remis en cause par un accord commercial !
Seuls les députés européens pourront s’opposer à la conclusion du traité.
Si les élections européennes sont si importantes, c’est qu’elles vont désigner les eurodéputés qui auront à se prononcer sur ce traité. Ils seront les seuls représentants élus à pouvoir stopper le processus. Les parlements nationaux ne seront pas consultés malgré les molles dénégations de Karel De Gucht. La qualification d’accord mixte nécessitant une ratification au niveau européen et au niveau national sera à terme écartée puisqu’elle placerait l’accord sous la menace d’un vote négatif d’un seul parlement national.
En allant voter dimanche, vous aurez donc l’occasion, et ce sera la seule, de dire non au Traité de grand marché transatlantique.
Qui est pour, qui est contre ?
Seuls deux grands mouvements politiques mènent, en France, une campagne pour dénoncer les menaces que fait peser ce traité sur notre mode de vie. Il s’agit d’Europe Ecologie Les Verts et du Front de Gauche. D’autres partis plus petits sont également engagés dans ce combat : Nouvelle Donne, Debout la République…
Sont favorables au traité, le PS, l’UMP, l’UDI et le FN. Ce dernier fait mine de s’insurger contre le projet d’accord mais lorsqu’il s’est agi de voter, au sein de collectivités locales, des motions ou résolutions contre ce projet, les élus du FN ont toujours voté contre celles-ci et donc pour le grand marché transatlantique.
Dimanche, allez voter, pour vous, pour vos enfants et pour la mémoire de tous ceux qui, au cours des siècles, se sont battus pour notre modèle de société où l’intérêt général prévaut sur les intérêts particuliers.
Source : http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/europeennes-les-elections-qui-152193?debut_forums=0#forum4029737
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Publié : 06/04/2014 | Auteur : Non merci | Classé dans : " MOBILISATIONS, "-- Gaz de schiste, "-- ISDS - RDIE - ICS Arbitrage Investisseur-État, "-- Sécurité Alimentaire - OGM, *.Accord UE/USA / TAFTA / TTIP, - Hors TAFTA, -- Données personnelles, -- Education, -- Santé - Retraites, -- Services Publics, Vu de France |
Le Conseil Général du Tarn vote le département Hors Tafta !
Le Tarn s’est déclaré hors Tafta et demande la suspension des négociations en l’attente d’un large débat public.
Le Conseil général du Tarn a également décidé : » d’ouvrir un débat régional sur les risques de nivellement par le bas des règles sociales, économiques, sanitaires, culturelles et environnementales que représenterait la mise en œuvre des accords de libre-échange approuvés par l’Union européenne. Sur la base des engagements de la Charte de la participation, ce débat se fera notamment en organisant des auditions. »

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Assemblée plénière du jeudi 3 avril 2014
Motion déposée par Roland FOISSAC et Serge ENTRAYGUES
Pour l’arrêt des négociations sur le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement
Le 14 juin 2013, la Commission européenne a obtenu mandat de la part de tous les États membres pour négocier avec les États-Unis le Transatlantic free trade area (TAFTA). Cet accord cherche à instaurer un vaste marché de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis, allant au-delà des accords de l’OMC.
Ce projet de Grand marché transatlantique vise le démantèlement des droits de douane restants, entre autres dans le secteur agricole, comme la suppression des « barrières non tarifaires » qui amplifierait la concurrence débridée et empêcherait la relocalisation des activités. Il conduirait à un nivellement par le bas des règles sociales, économiques, sanitaires, culturelles et environnementales, aussi bien en Europe qu’aux États-Unis. Ainsi, la production de lait et de viande avec usage d’hormones, la volaille chlorée et bien d’autres semences OGM, commercialisées aux États-Unis, pourraient arriver sur le marché européen. Inversement, certaines régulations des marchés publics et de la finance aux États-Unis pourraient être mises à bas.
Cet accord serait un moyen pour les multinationales d’éliminer toutes les décisions publiques qui constituent des entraves à l’expansion de leurs parts de marché, consacrant la domination des multinationales européennes comme américaines et la domination des États-Unis.
Ce projet pourrait introduire un mécanisme d’arbitrage privé « investisseur-État », qui se substituerait aux juridictions existantes. Les investisseurs privés pourraient ainsi contourner les lois et les décisions qui les gêneraient, permettant par exemple aux pétroliers d’imposer en France l’exploitation des gaz de schistes et autres hydrocarbures dits non conventionnels. Une telle architecture juridique limiterait les capacités déjà faibles des États à maintenir des services publics (éducation, santé, etc.), à protéger les droits sociaux, à garantir la protection sociale, à maintenir des activités associatives, sociales et culturelles préservées du marché, à contrôler l’activité des multinationales dans le secteur extractif ou encore à investir dans des secteurs d’intérêt général comme la transition énergétique.
Au-delà des échanges de marchandises, le Grand marché transatlantique achèverait l’ouverture à la concurrence des échanges immatériels. Le projet d’accord prévoit d’introduire de nouvelles mesures relatives aux brevets, droits d’auteur, protection des données, indications géographiques et autres formes de la dite « propriété intellectuelle », faisant revenir par la petite porte le défunt ACTA (Accord commercial anti-contrefaçon), refusé en juillet 2012 par les eurodéputés, suite à une large mobilisation des citoyens européens.
Discrètement, de puissants lobbies européens et transatlantiques sont déjà à la manœuvre pour élaborer avec la Commission européenne, seule autorité en charge des négociations au nom de tous les États membres, les termes d’un éventuel accord d’ici 2015. À l’inverse, les citoyens, les mouvements sociaux, les parlementaires européens, n’ont pas accès aux informations sur les négociations en cours. Le secret sur les textes limite également les capacités des pays en développement d’intervenir, alors qu’un tel accord aurait des répercussions juridiques et sociales sur l’ensemble du monde.
Le Grand marché transatlantique serait une atteinte nouvelle et sans précédent aux principes démocratiques fondamentaux. Il ne ferait qu’aggraver la marchandisation du monde, avec le risque de régressions sociales, environnementales et politiques majeures.
L’accord multilatéral sur l’investissement (AMI) en 1997, puis l’Accord commercial anti-contrefaçon en 2012, qui comportaient les mêmes dangers ont été rejetés en leur temps. A présent il convient de stopper le Grand marché transatlantique en impulsant dans le Tarn une dynamique citoyenne de refus. A ce titre les élus départementaux, réunis en assemblée plénière, ce vendredi 4 avril 2014 décident :
-
d’ouvrir un débat régional sur les risques de nivellement par le bas des règles sociales, économiques, sanitaires, culturelles et environnementales que représenterait la mise en œuvre des accords de libre-échange approuvés par l’Union européenne. Sur la base des engagements de la Charte de la participation, ce débat se fera notamment en organisant des auditions.
Et mandatent le président du Conseil départemental pour saisir le gouvernement et les institutions européennes quant à :
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l’ouverture d’un débat national sur le GMT et plus généralement sur l’ensemble des accords de libre-échange impliquant la pleine participation des collectivités territoriales, des organisations syndicales et associatives, des organisations socioprofessionnelles et des populations.
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Publié : 07/01/2014 | Auteur : Non merci | Classé dans : "-- ISDS - RDIE - ICS Arbitrage Investisseur-État, *.Accord UE/USA / TAFTA / TTIP, - Accord UE/Amérique centrale, -- Education, Accord ALENA - (USA-Canada-Mexique) |
Les organisations Transnational Institute (TNI) et Corporate Europe Observatory (CEO) ont publié conjointement un rapport sur l’arbitrage amplement documenté qui fera date |1|.
En effet, il s’agit d’un enjeu international de taille pour les États qu’ils soient du Sud ou du Nord qui demeure largement méconnu.
De quoi s’agit t-il exactement, le terme même d’arbitrage n’étant guère évocateur en dehors du domaine sportif ?
Il s’agit d’un cadre juridique spécifique qui permet aux entreprises multinationales d’attaquer via des traités sur l’investissement un pays qui aurait pris ou qui souhaiterait prendre des mesures sociales ou environnementales pour protéger sa population.
Les multinationales peuvent, elles, estimer que cela va porter préjudice à leurs bénéfices et réclamer devant des tribunaux d’arbitrage des indemnisations considérables.
Cet article se propose de lever le voile sur les ravages causés par l’industrie juridique de l’arbitrage.
En effet, si il est compréhensible d’avoir des instances chargées de régler des litiges, la critique de l’arbitrage doit se porter sur le système d’arbitrage en tant que tel. Le fondement de la critique tient déjà au fait que seules les entreprises multinationales peuvent traîner les Etats en justice devant ces tribunaux, la réciproque n’étant pas vraie, les Etats dont les multinationales qui opèrent sur leur territoire violent les droits humains ou contaminent l’environnement n’ont pas cette possibilité.
Une explosion du nombre de cas
En 1966, était créé le Centre international de règlement des différends liés à l’investissement (CIRDI), instance d’arbitrage partie prenante du groupe Banque Mondiale. Trente ans après sa création il n’y avait eu que 38 cas répertoriés.
La multiplication des Traités sur l’investissement – il en existe actuellement environ 3.000 au niveau mondial – la majorité d’entre eux bilatéraux, les autres étant multilatéraux comme dans le cas du Traité NAFTA entré en vigueur en 1995 entre le Canada, les Etats-Unis et le Mexique ou encore portent sur un sujet particulier comme le cas du Traité sur la Charte de l’énergie a été la base qui a permis le développement de l’arbitrage.
A côté du développement de la trame avec la multiplication du nombre de traités, le rôle offensif des cabinets d’avocats spécialisés dans l’arbitrage international est l’autre versant expliquant l’explosion des attaques dont sont victimes les Etats du Sud et du Nord qui portent préjudice à leur population.
Ainsi, si il n’y avait eu que 38 cas d’arbitrage répertoriés en 1996, en 2011 sur une période de 15 ans, leur nombre avait été multiplié par plus de 10 pour se monter à 450 avec parallèlement une explosion des montants en jeu.
Au cours des années 2009-2010, 151 cas ont été répertoriés dans lesquels les multinationales réclamaient une indemnisation se montant à au moins 100 millions de dollars |2|.
Une très lucrative industrie
L’aiguillon de ce qu’on peut réellement qualifier d’industrie de l’arbitrage ce sont les bénéfices astronomiques des firmes d’avocats spécialisés qui facturent jusqu’à 1000 dollars … de l’heure par avocat et bien souvent c’est toute une équipe qui est engagée sur une affaire. Cela a pour conséquence que les coûts juridiques d’un dossier se montent en moyenne à 8 millions et dépassent dans certains cas les 30 millions |3|.
Le rapport donne l’exemple des Philippines qui ont dû pour se défendre à deux reprises contre les attaques de l’opérateur aéroportuaire allemand Fraiport débourser la somme de 58 millions de dollars, ce qui équivaut au salaire annuel de 12.500 profs ou à la vaccination de 3,8 millions d’enfants.
Les pays qui ne peuvent se le permettre ou qui refusent de mettre autant d’argent se trouvent généralement confrontés au fait que les arguments de défense de leurs avocats ne disposent que de références législatives incomplètes et dispersées, ce qui augmente le fait qu’ils soient plus souvent condamnés.
Le rapport cite le cas de la République Tchèque qui n’a réussi à se défendre avec succès dans deux cas qu’une fois qu’elle a remplacé les avocats tchèques par des cabinets spécialisés.
Bien évidemment avec une telle rentabilité c’est le serpent qui se mord la queue, les firmes d’avocats recherchent avidement des cas à exploiter d’où découle une multiplication des cas.
Ainsi, par exemple, quand le géant suédois de l’électricité Vattenfall a annoncé son intention de poursuivre l’Allemagne, un cabinet d’avocats britannique a évalué comment les multinationales opérant dans le secteur de l’énergie en Grande Bretagne pourraient introduire une plainte dans le cas où la Grande-Bretagne adopterait une décision similaire à celle de l’Allemagne. Ces pratiques extrêmement agressives ont fait que ces cabinets d’avocats ont pu être qualifiés de « chasseurs d’ambulances », terme qui a été forgé aux Etats-Unis à la fin du XIXe siècle pour faire référence aux avocats qui cherchaient à tirer profit des lésions ou accidents affectant une personne en suivant les ambulances vers les urgences et en incitant ces personnes à faire des procès contre le corps médical.
L’argument marketing massue de ces cabinets spécialisés est qu’ils connaissent les arbitres, ce à quoi chacun est sensible – et donc qu’ils savent présenter au mieux le cas pour faire valoir les arguments de leurs clients.
Tout comme les avocats, les arbitres sont grassement rémunérés – entre 375 et 700 dollars de l’heure selon l’instance d’arbitrage |4|. Pour un litige de 100 millions de dollars, un arbitre peut gagner en moyenne 350.000 dollars. Leur neutralité prétendue est en contradiction flagrante avec le fait que leurs principales sources de revenus et d’opportunités découlent des pratiques arbitraires et abusives des multinationales.
Il faut de plus souligner l’extrême concentration du monde de l’arbitrage où selon l’ancien secrétaire général de la Chambre de Commerce International Guy Sebban « tout le monde connaît tout le monde |5| » et ce sont 15 arbitres qui ont accaparé la prise de décisions dans 55% du total des cas connus jusqu’à la date de rédaction du rapport (soit 450 cas) |6|.
Par ailleurs, étant donné les multiples casquettes des participants au système d’arbitrage, certains agissent également en tant que conseillers de gouvernements pour les inciter à signer des traités d’investissements rédigés en des termes peu précis pour ainsi multiplier les possibilités des multinationales d’introduire des plaintes. Et ce alors même qu’ils seraient censés protéger les intérêts des gouvernements.
Les avocats du secteur ont également une facilité d’accès aux législateurs et aux fonctionnaires publics en charge de négocier les traités d’investissement.
Par ailleurs, certains de ceux qui ont négocié sont ensuite devenus des noms connus du marché de l’arbitrage.
Ce contexte extrêmement malsain a ainsi été ironiquement décrit par le professeur Gus van Harten de la faculté de droit d’Osgoode Hall à Toronto dans une interview :
« Les avocats d’arbitrage ne se contentent pas de chasser les ambulances. Ils créent également les accidents car ceux qui sont aussi arbitres interprètent les traités dans un sens très large. La chasse aux ambulances a lieu après que leur ami ait mis une peau de banane sur la route |7| ».
Du renfort de la menace
Parfois la menace d’une plainte suffit pour qu’un gouvernement retire les mesures qu’il comptait mettre en place et cela ne concerne pas que les petits pays.
Ainsi l’Afrique du Sud qui avait adopté une loi pour la promotion économique de la population noire qui exigeait des multinationales opérant dans le pays comme les compagnies minières qu’elles transfèrent une partie de leurs actions entre les mains d’investisseurs noirs a été attaquée par un groupe d’investisseurs italiens. Le litige a pris fin après l’octroi à ces multinationales de nouvelles licences requérant un transfert d’actifs moindre.
De même, en 2009 et 2012 la multinationale suédoise de l’énergie Vattenfall a introduit deux plaintes contre l’Allemagne. La première réclamait à l’Allemagne 1,4 milliard d’euros pour les restrictions environnementales imposées à une de ses centrales de charbon. L’Allemagne a alors cédé et accepté de diminuer sa législation de protection de l’environnement. La seconde plainte réclamait une indemnisation de 3,7 milliards d’euros suite à la décision de l’Allemagne après la catastrophe de Fukushima de commencer à abandonner l’énergie nucléaire.
Suite aux programmes de réforme économique de blocages des tarifs de l’eau, de l’énergie, des télécommunications, mis en place consécutivement à la crise de 2001 pour protéger la population qui s’était massivement mobilisée, l’Argentine a été assaillie de plus de 40 plaintes.
Les Nations Unies ont d’ailleurs reconnu que les traités internationaux d’investissement, soubassement des plaintes – peuvent limiter gravement la capacité des Etats à lutter contre les crises financières et économiques |8|.
A l’autre bout du continent américain, un ex-fonctionnaire du gouvernement canadien témoigne de lettres envoyées par les cabinets de New York et Washington pratiquement à chaque fois que le gouvernement canadien voulait adopter une mesure législative de protection de l’environnement. Ca a été le cas pour pratiquement toutes les nouvelles initiatives et la majorité d’entre elles n’a jamais vu le jour.
Avec la signature du traité de libre-échange nord-américain (NAFTA) entre le Canada, les Etats-Unis et le Mexique entré en vigueur le 1er janvier 1994, ces avocats ont incité les multinationales a attaquer les trois pays. Celui-ci a d’emblée été perçu comme une nouvelle source de juteux bénéfices ; un des 15 principaux avocats au niveau mondial dans un article de 1995 se montrait enthousiasmé « par ce nouveau territoire pour l’arbitrage international ». En 2001, le journaliste et écrivain William Greider décrivait le chapitre sur l’investissement du NAFTA comme étant le fruit d’une stratégie à long terme pour obliger les gouvernements à débourser une indemnisation chaque fois qu’ils mettent en place une mesure de régulation. Autant dire que ça leur lie les mains !
La menace est également un outil pour éviter une réforme de la pratique de l’arbitrage au motif que l’absence de possibilité de recours à l’arbitrage entraînerait la fuite des investisseurs.
Les associations du secteur et les cabinets d’avocats d’investissements ont mené des campagnes féroces pour neutraliser tout processus de réforme en raison du caractère extrêmement lucratif du secteur.
En quête du traité d’investissement le plus favorable
En raison du caractère international de leur capital, les multinationales peuvent s’adresser à plusieurs instances pour attaquer un même pays pour les mêmes faits.
Cette « guerre de plusieurs fronts » a été comparée à un jeu d’échecs en 3 dimensions. Ainsi le multimillionnaire de l’industrie cosmétique Ronald Lauder a attaqué la République tchèque sur base du Traité bilatéral sur l’investissement (TBI) entre les Etats-Unis et la République Tchèque. Il n’a pas gagné. Il a donc attaqué une seconde fois sur base du TBI entre les Pays Bas et la République tchèque (cela a été rendu possible par le fait que l’investissement avait été structuré à travers un véhicule d’investissement néerlandais). Avec la seconde attaque, la République tchèque a été condamnée à payer 270 millions de dollars, l’équivalent du budget de la santé du pays.
Les Pays-Bas sont un des pays qui offrent les traités les plus favorables aux multinationales.
Des opportunités de profit pour des tiers
A côté des bénéfices de l’industrie de l’arbitrage, ce secteur apparaît tellement porteur et lucratif avec des indemnisations se chiffrant en centaines de millions ou en milliards de dollars qu’on assiste à un développement massif du financement commercial des plaintes de la part de tiers.
La motivation des financeurs est bien sûr d’obtenir une part substantielle des montants obtenus par les multinationales. Des banques, compagnies d’assurances et hedge funds ont également été appâtés par la perspective de bénéfices considérables. Les bénéfices de deux de ces entreprises de financement ont été multipliés par 9 et 5 en 2011 par rapport à 2010 |9|. Certaines portent des offres en bourse qui leur ont permis de recueillir plus de 100 millions de dollars.
Le tableau ne s’arrête cependant pas là puisque certains fonds étudient la création d’un nouveau marché de produits dérivés |10|. Bien sûr là encore ces possibilités de financement externe donnent lieu à une croissance du nombre de cas en particulier de cas encore plus abusifs comme en témoigne le propos du co-fondateur du fonds Calnius Capital, Mick Smith : » il est faux de penser qu’une plainte doive être suffisamment solide pour avoir une chance de gagner, tout a un prix |11| » !
Tout ce système est emblématique de multiples conflits d’intérêt et fait penser au voile levé en 2010 sur les agences de notation dans leur rôle de catalyseur en dernier ressort dans l’augmentation de la dette grecque puisque la dégradation d’ampleur de la note a mécaniquement entraîné une hausse considérable des taux de financement.
L’investissement du monde académique
L’arbitrage s’installe également sur le terrain de l’enseignement et de la recherche dans les facultés de droit et se traduit par une augmentation d’instituts spécialisés, de publications et de doctorants dans lesquels les représentants du secteur sont largement dominants. Les critiques n’étant tolérées que tant qu’elles restent dans une certaine limite et ne questionnent surtout pas le système en tant que tel. Par ailleurs, les intérêts économiques des professionnels du secteur ne sont que rarement mentionnés.
En finir avec ce système de pillage légal
Tel qu’il fonctionne, ce système coûte extrêmement cher aux Etats du Sud mais aussi du Nord. Il s’agit véritablement d’un instrument puissant de soumission, de pillage des ressources naturelles, d’atteintes aux droits des travailleurs et à la protection de l’environnement.
Dans tous les pays qui sont contraints de verser tout à fait abusivement des montants considérables à des multinationales, cela a des conséquences catastrophiques en terme de réduction à l’accès aux services sociaux. On peut citer par exemple le cas de la République Tchèque qui a du verser transférer l’équivalent de son budget annuel de la santé – soit 270 millions d’euros – à une multinationale des cosmétiques.
On l’a vu dès le départ, ce cadre juridique qui ne permet qu’aux investisseurs de porter plainte contre les Etats alors que la réciproque n’existe pas est biaisé.
Cependant, il serait illusoire de penser qu’il suffirait que les Etats puissent également saisir les tribunaux d’arbitrage pour parvenir à un mécanisme de règlement des litiges qui soit juste.
Il est donc fondamental de faire connaître les ravages causés par un processus prétendument neutre qui organise dans le champ juridique la soumission des Etats aux intérêts privés des multinationales bien loin de la conscience des populations des pays qui en sont les victimes.
Face à la puissance de lobbying du secteur pour éviter des réformes, la diffusion de ses impacts est clé.
Heureusement, certains pays commencent à questionner l’arbitrage. Le processus est encore relativement nouveau et à cet égard c’est l’Amérique latine qui est en pointe du combat. En 2007, le président bolivien Evo Morales annonçait la sortie par la Bolivie du CIRDI – sans doute la plus importante instance d’arbitrage – , en 2009 c’était au tour de l’Equateur puis du Venezuela en 2012. Sous d’autres latitudes, l’Australie a annoncé à l’automne 2011 qu’elle n’intégrerait plus de mécanisme de règlement des différends lors de la signature de prochains accords de libre-échange. L’Afrique du Sud, elle, a signalé qu’elle ne renouvellerait plus les accords de libre-échange signés avec certains pays à l’expiration de ceux ci. Le mouvement est certes encore loin d’être massif mais ces initiatives pourraient donner l’exemple à d’autre pays.
Par ailleurs, l’Equateur qui s’était déjà montré en pointe en organisant un audit officiel de sa dette qui a donné lieu la reconnaissance d’une partie illégitime de la dette et à une économie de 7 milliards de dollars fait à nouveau figure de pionnier puisque le pays a mis en place une commission d’audit sur les traités d’investissement. Puisse la connaissance des conséquences catastrophiques de l’arbitrage et l’exemple de pays comme l’Equateur être une source d’inspiration.
Ce système en effet ne tient qu’à l’acceptation des pays. Si ils retirent leur consentement les plaintes deviennent sans objet.
Etant donné les enjeux économiques considérables pour les peuples du Sud comme du Nord, il est important que de plus en plus de pays quittent le CIRDI et imposent des moratoires sur les traités de libre-échange tels qu’ils sont constitués actuellement.
Enfin, il faut signaler la volonté au sein de l’Union des Nations Sud américaines (UNASUR) créée en 2008 de la constitution d’une nouvelle instance d’arbitrage pour l’Amérique du Sud en remplacement du CIRDI qui pourrait être l’embryon d’une nouvelle organisation juridique qui mettrait au premier plan le respect des droits humains et de l’environnement et qui contraindrait tout investissement au respect de ce cadre |12|.
Notes
|1| TNI/CEO Cuando la injusticia es negocio. Cómo las firmas de abogados, árbitros y financiadores alimentan el auge del arbitraje de inversiones, http://www.tni.org/sites/www.tni.or… ; également disponible en anglais http://www.tni.org/sites/www.tni.or…
|2| Ibid, p 7
|3| OECD (2012), Scoping paper for Investor-State Dispute Settlement Public Consultation 16 May – 23 July 2012, p18 in Ibid page 17
|4| Ibid page 35
|5| Goswarni Nina (2008) ICC left reeling as arbitration court chairman Tercier resigns ; The Lawyer, 31 mars in Ibid p.36
|6| Ibid p.38
|7| Ibid p.24
|8| UNCTAD (2011) Sovereign Debt Restructuring and International Investment Agreements, Issues Note No 2, July in Ibid page 31
|9| TNI/CEO, p 58
|10| Un produit dérivé est une opération à terme dérivant d’un actif dit » sous-jacent » (qui peut être une devise, une action, une matière première ou n’importe quel actif financier). Un exemple de produit dérivé est l’option d’achat (call) : une banque émet sur le marché une option d’achat sur, par exemple, le cours de l’action Monsanto (action » sous-jacente » de laquelle dérive l’option) au prix de 100 et à 10 mois ; moyennant le versement d’une prime, un investisseur va acheter cette option d’achat et ainsi détenir un droit d’achat sur l’action Monsanto au prix de 100 et sur un terme de 10 mois. A cette échéance, soit l’action vaut plus que 100 et l’investisseur peut acheter une action moins cher qu’elle ne vaut. Dans le cas inverse d’une action valant moins de 100 au terme des 10 mois, l’investisseur abandonne son option et le banquier empoche la prime. Si ces produits ont à l’origine été créés pour répondre aux fluctuations (sorte d’assurance offerte par un opérateur d’accord de courir le risque), ils en causent en définitive davantage en provoquant des vagues spéculatives (l’émetteur et l’acheteur de l’option vont ainsi spéculer sur l’action sous-jacente durant les 10 mois). Il existe une multitude de produits dérivés plus complexes les uns que les autres. Certains sont négociés sur des marchés organisés et contrôlés, mais la plupart des opérations se déroulent de gré à gré, c’est-à-dire en dehors de tout contrôle et dans une totale opacité.
|11| TNI/CEO, p 59
|12| « Avanza proceso de constitución para Centro de Arbitraje de UNASUR », 7 octobre 2013, http://cancilleria.gob.ec/avanza-pr…
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6 janvier par Virginie de Romanet
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