Arbitrage ISDS Australie / Philip Morris : avantage Australie. Le tribunal n’a pas statué sur le fond.

L’Australie gagne son arbitrage ISDS contre le cigarettier Philip Morris ?

Cela faisait partie des affaires les plus souvent citées pour illustrer les risques des tribunaux d’arbitrage d’investissement ISDS (Investor-state dispute settlement, des instances où des multinationales peuvent demander des comptes aux Etats dans lesquels elles investissent, voir encadré en fin d’article), accusés d’empêcher les Etats de légiférer pour le bien public. Elle s’est finalement dégonflée à la fin de l’année 2015 à la faveur d’une sentence déboutant Philip Morris de son recours contre la décision de l’Australie d’imposer le paquet de cigarettes neutre.

Si cette décision arbitrale retire un épouvantail exemplaire à ceux qui se battent contre l’intégration d’un ISDS au futur traité transatlantique Europe/Etats-Unis, elle n’est pas de nature à les rassurer complètement. En effet, le tribunal ISDS, sis dans l’annexe de la cour permanente d’arbitrage (CPA) à Singapour, n’a pas statué sur le fond.

En clair, il n’a pas tranché la question de savoir si, en introduisant en 2011/2012 une loi sur le paquet neutre, le gouvernement travailliste australien avait exproprié le cigarettier Philip Morris de ses droits de propriété intellectuelle, en le contraignant à retirer son logo et sa charte graphique de ses paquets, ou s’il était dans son droit, car cette mesure visait à dissuader les potentiels consommateurs et protéger leur santé (d’ailleurs, hasard ou non, la consommation de tabac a baissé de plus de 10 % l’année suivant la loi). Les trois arbitres ne se sont pas prononcés sur le bien-fondé de l’indemnisation de quelque 50 millions de dollars réclamée par la multinationale.

En effet, dans sa sentence du 17 décembre 2015, le tribunal ISDS s’est contenté de se déclarer incompétent pour prendre en charge le litige. Si la décision intégrale n’a pas encore été publiée, il semblerait que le tribunal ait jugé la requête de Philip Morris illégitime pour des questions de procédure. La firme d’origine américaine se serait en effet restructurée en rattachant sa filiale australienne à une entité à hong-kongaise dans le seul but de pouvoir attaquer l’Australie en vertu d’un traité d’investissement Hong-Kong-Australie datant de 1993.

Une ruse appelée “treaty shopping”, ou “tourisme des traités”, que n’auraient guère appréciée les arbitres – signe, selon un connaisseur du monde de l’arbitrage, que “contrairement à ce qu’on entend souvent, les arbitres ne sont pas systématiquement pro-investisseurs et ne cherchent pas à engranger un maximum de dossiers pour augmenter leurs honoraires”.

Toujours dans l’expectative

Si le gouvernement australien a poussé un grand ouf de soulagement après cette décision, elle n’est pas forcément une bonne nouvelle pour tout le monde. En effet, “rien dans la décision ne valide [la légalité du] paquet neutre en Australie ou ailleurs”, comme l’a souligné l’un des pontes de Philip Morris. En refusant de trancher l’affaire sur le fond, le tribunal ne donne donc aucune indication dans un sens ou dans un autre sur la légalité de telles politiques anti-tabac au regard des milliers de traités d’investissement en vigueur dans le monde.

Que va faire la Nouvelle-Zélande, qui avait décidé par précaution de suspendre la mise en place du paquet neutre jusqu’à l’aboutissement de l’affaire Philip Morris/Australie ? Elle reste pour l’instant dans l’expectative

Que va-t-il advenir de l’Uruguay, également attaqué par Philip Morris depuis 2010 pour sa politique anti-tabac ? L’épée de Damoclès d’une amende de 22 millions de dollars reste au-dessus de la tête de ce pays au PIB de 48 milliards d’euros.

Les autres pays qui sont en train d’adopter le paquet neutre, comme la France, le Royaume-Uni ou l’Irlande, sont-ils à l’abri de grosses amendes en cas d’attaques par les multinationales du tabac ?

Voilà autant de questions auxquelles l’affaire Philip Morris/Australie n’a pas répondu, et qui ne sont pas de nature à rassurer les détracteurs du mécanisme ISDS.

Maxime Vaudano

En bref : comment marche l’ISDS

Plusieurs milliers de traités d’investissement bilatéraux et multilatéraux contiennent un mécanisme d’ISDS, qui peuvent différer d’un contexte à l’autre. Si le futur traité transatlantique en intégrait un, voilà comment cela pourrait fonctionner : un investisseur américain (généralement une multinationale) qui exerce une activité sur le territoire français (ou de toute autre pays européen) pourrait attaquer l’Etat français devant un tribunal arbitral pour obtenir une compensation s’il s’estimait lésé par une décision française.

Pour avoir gain de cause, il devrait prouver que la France a enfreint certaines dispositions du traité transatlantique. Trois arbitres seraient amenés à trancher, selon la formule la plus répandue : un nommé par l’investisseur, un par la France, tandis que le troisième devrait faire l’objet d’un consensus entre les deux parties ou, à défaut, être nommé par le président de la structure qui accueille l’arbitrage (le Cirdi, un organe dépendant de la Banque mondiale, dans la plupart des cas). A l’issue de la sentence, si la France était condamnée à indemniser l’investisseur, elle n’aurait aucune possibilité d’appel, et serait contrainte de s’exécuter.