Chanteclear et TAFTA

Un vieux Coq adroit et matois.
Frère, dit un Renard adoucissant sa voix,
Nous ne sommes plus en querelle :
Paix générale cette fois.
Je viens te l’annoncer ; descends que je t’embrasse.

« TAFTA, Tafta…« , susurrait maître Renard, s’annonçant sous faux drapeau, désireux de rassurer ce qu’il estimait être son prochain repas. Cependant, le vieux coq à crête n’avait rien d’un étourneau. S’il fût allé à l’embrassade, il aurait défendu ses plumes, comme en 14. Mais à ce souvenir, frissonnant, il jugea plus prudent de demeurer perché.

Le Vieux Coq
Donnez vos arguments, monsieur du Tafta, pour une union si propice. En quoi votre traité m’arrange-t-il ? Vous nous la bâillâtes belle il y a peu, avec un traité lisbonnard, pas plus portugais que je ne suis chapon. Depuis, j’en suis réduit à surveiller nuit et jour les entours tant la gent carnivore moleste mes poulardes.

Le Renard sentencieux
Chanteclear, vous êtes un sage, j’en conviens, mais aussi un Maître-Volaille qui ne connaît que son hameau. Daignez considérer je vous prie les exemples des poulaillers émergents. Y sévit mon cousin sous un nom légèrement différent. Mais définissons d’abord le nôtre, car vous me semblez en ignorer tout : Le TAFTA ou Trans-Atlantic Free Trade Agreement, soit en français Accord Commercial Trans-Atlantique, appelé aussi TTIP ou ACTA, est « un projet d’accord commercial entre les Etats-Unis et l’Europe dont le 2ème cycle de négociation a commencé en octobre 2013« .

Le Vieux Coq
Oui-da : votre traité se négocie à portes fermées — pas de journaliste invité — et sans que ses pondeurs (faites excuse) aient demandé au préalable l’avis des intéressés que nous sommes, nous les sédentaires. De plus, j’ai souvenir d’autres discours entendus dans les années 90 sur le thème de l’Europoulaille : vous serez tous des aigles, roucoulaient vos pareils aux pintades éblouies. Vous aussi fendrez l’air de Stockolm à Séville. Toutes, vous irez blindées d’euros spécu-start-up dans un monde éclectique par ailleurs tatifié, étiqueté chinois, toujours moins cher, tout plein d’oiselles à plumage et ramage joyeusement bigarrés. Vous et moi serons Zérope à face de bouc, pour mille ans de félicité. À condition (impérative) de faire du passé table rase, dans les pâquerettes. 

Nous la gent du terroir étions tous enfants du Paon et de la Cigogne, alors. Et tous en chœur :

Nous avons, pour plaire à la brute,
Digne vassale des Démons,
Insulté ce que nous aimons
Et flatté ce qui nous rebute.

Mais voilà, songe le Vieux Coq en silence, la brute aujourd’hui montre ses crocs de brute. Non, elle n’essaie même pas de nous refaire le boniment. D’une part elle est trop visible et velue, sans parler de sa couleur incendie perpétuel ; et, d’autre part, elle sait qu’elle n’a plus à s’embarrasser de manières.

Le Renard persuasif
Tout va plutôt pire c’est vrai, et justement, nous avons l’intention de tout arranger. Faites-nous confiance.

Le Vieux Coq ne répond rien. Ce n’est pas au chauffard d’opérer celui qu’il a renversé, pense-t-il.

Le Renard
Voyez comme le vent se lève. Les pilotes sont à la manoeuvre ; ils redresseront la barre…

Le Vieux Coq, à part
… du Titanic.

Le Renard poursuivant
Ils ont l’expérience et les manettes. Rêvons de concert, monsieur du Vieux Coq. Imaginez une totale absence de frontières entre l’Amérique du Nord et notre bois joli. Plus d’océan mais un désert, un vaste pré, où courir après les poules ! Vous et moi y serions libres et toujours en quête et en fête. Ô le succulent idéal !
Bon, ne parlons pas de ces frontières-là, encore inaccessibles, mais plutôt de celles qui nous privent vous et moi de trop de poules : les barrières économiques et culturelles. Celles qui permettent d’isoler un bien, de le placer hors de la portée du prédateur, que nous sommes tous deux, n’est-ce pas ? Eh bien, ces barrières, il faut les abattre.
Un exemple :  » Si sur les marchés publics, une procédure était libéralisée aux Etats-Unis, Bouygues aurait la possibilité de gagner des contrats plus facilement« .
Voilà, je n’en doute pas, qui vous met Tafta en perspective.

Le Vieux Coq agitant ses ailes
Marchés publics ! ?? Ah coquerique et coquinalade ! Grand merci vraiment, au nom de tous nos oiseaux bâtisseurs de nids. Pour un Bouygues qui obtiendra des contrats américains, dix entreprises étrangères (Usaméricaines ou supposées telles) se rueront sur nos bois et nos guérets. Nos nidifiants en perdront le gîte et la voix. Nous aurons au final des macdos OGM, des vendeurs d’ovaires et de poussins made in India, des plugs à tire-larigot. Bienheureux si nous parvenons à éviter l’explosion du roc et l’empoisonnement des nappes phréatiques pour exploiter le gaz de schiste.

Le Renard vapotant
Mais non mais non. Tranquillisez-vous. Nous avons prévu des psychotropes génériques, fabriqués sans aucun contrôle dans des pays de misère, pour apaiser vos angoisses. Tout ira bien, dormez.

Le Vieux Coq le toisant
Qui nous défendra des caprices de de ces prédateurs, une fois installés chez nous ? Qui s’élèvera contre les subventions attribuées à des escrocs qui n’ont aucun lien affectif ni historique avec l’Europe, la France ? Ils seront ici, les lois accumulées deviendront encore plus compliquées, ce qui favorise les voleurs de poules. Quel déplorable sort sera celui des taftifiés !
Au bout du compte, nous aurons payé, payé sans trêve pour les paons, les cigognes et autres pies voleuses et petits têtards. Et nous resterons déplumés et seuls comme jamais, perdus dans une pagaille de poulaillers tout pareils, garnis de mickeys made in Malaise-land.

Le Renard s’impatientant
Bon, moi je n’ai rien contre les poulaillers. Plus ils s’étendent, moins je me plains. Mais que dites-vous, sénile gallinacé, de cet argument-ci qui vous assommerait, si vous gardiez raison sous crête :
« Face à la Russie les Etats-Unis sont un allié de poids ; enfin en matière de gaz les États-Unis pourraient aider à alléger notre dépendance à l’égard du gaz russe ».
Notre dépendance ! Tous indépendants. Du gaz russe. Tu piges l’astuce ?

Le Vieux Coq coquericant
Voilà donc le pot aux roses. Pour asservir un Zérope tout entier, contrôlez sa demande d’énergie ou exploitez à bas prix ses ressources. Dans les deux cas, il devient votre fief. Au passage, éliminez le concurrent, évincez la Russie. Vous serez un trust.

Le Renard
Oui, et alors ?

Le Vieux Coq fièrement
Alors il me plaît à moi de diversifier mes avoirs. Je n’en serai que plus libre pour faire mon devoir, qui est de saluer le soleil au Levant. Sa lumière me convient, sa chaleur itou. Il reste, avec la fermière et la terre à blé, mon fournisseur favori.

Le Renard à part
La peste soit de cette cervelle d’oiseau !
Plus haut : J’apprécie ton sens du service, vieux frère. Moi-même, recru de fatigue à l’aube après une longue maraude, j’adore d’être éveillé en sursaut par ton gosier triomphant. A ce propos, songe qu’« en matière de services, l’Europe (la France) a beaucoup d’atouts à faire valoir ».

Le Vieux Coq sur ses ergots
Services ? Au service de qui ? Servage est le mot qui convient. Comment ferai-je une fois lié pour me sortir de notre alliance si elle ne me convient plus ? Je ne pourrai que donner un ou deux coups de bec. Modifier un des points de l’accord deviendra mission impossible car une flopée d’individus, d’intérêts et de groupes donneront leur avis contradictoire.
Tes amis ne sont pas toujours les miens, et ils ont des griffes. Nous nous sommes cassé le bec bien des fois, nous les coqs, en voulant nous déligoter, depuis le traité de Lisbonne.

Le Renard à part
Si tu te casses le bec, montre les dents ! Hin hin. Spice de sans-dents.
Plus haut : Ne crains rien. Actuellement  » les négociateurs de part et d’autres sont surveillés de près par les lobbyistes en tous genres ; industriels, ONG, syndicats, gouvernement… » Ce traité ne peut que te convenir en tous points. Tu es bien gardé, de tous côtés. Au temps pour toi.

Le Vieux Coq à part
Cerné.
Plus haut : Tous ces beaux sires ne me disent rien qui vaille. J’ai déjà vu des coqs liés. Ils étaient prêts pour la cuisson.

Le Renard salivant, tout bas
Fichtre ! N’en dis pas plus, spice de coq en stock à la sauce au vin.

Le Vieux Coq
Par conséquent, comme me le confiait récemment un Économiste Atterré, une embrassade me semble pour le moins prématurée.
« Il revient aux parlementaires, conseillait l’éco terre à terre, de refuser d’annuler à travers ce partenariat transatlantique ce qu’ils ont précédemment voté. Et à la société civile de se manifester pour le leur rappeler. Car ce n’est pas sur la Commission européenne qu’il faut compter… »
Moi Chanteclear, j’ai tout vu, Renard, en 2009, sur ma branche. Tout entendu. La réunion Bilderberg où se trouvaient, entre autres milliardaires : Bill Gates, Warren Buffet, le maire de New York Bloomberg, George Soros, Eli Broad, Oprah Winfrey, David Rockefeller Sr. et Ted Turner, j’y étais. Elle débattit sur le choix suivant :
 1. « une dépression prolongée et douloureuse condamnant le monde à des décennies de stagnation, de déclin et de pauvreté […] ou :
2. une dépression plus courte mais plus intense ouvrant la voie à un nouvel ordre économique mondial durable, offrant moins de souveraineté, mais plus efficient
 ».
Ils décidèrent alors qu’il convenait d’exercer « des pressions ultimes visant à promulguer le traité de Lisbonne » faisant de l’Union européenne un gouvernement régional supranational, reléguant chaque pays à un statut provincial. Et ce en dépit des volontés contraires notifiées officiellement par les peuples européens.

Le Renard s’ennuyant
Tu n’es qu’un vieux coq néga-parano qui voit de la brute partout.

Le Vieux Coq, s’emportant
Je parle de ce que j’ai vu, lu, entendu. Un scandale ! Jabotons entre égos, ressasse la brute, puis nous passerons nos décisions en force, par les voies démoncrassiques accoutumées. Parallèlement, nous réunirons en colloque les hautes polices de ces pays zéro (rappelez-moi le nom du continent ?) pour qu’ils embrassent mieux nos idéaux matraqueurs.

Le Renard à part, montrant les crocs
Il m’énerve, ce volatile. Mais il est trop haut sur sa branche.
Plus haut : Descendez, beau doux sire, je ne vous entends point.

Le Vieux Coq, à part
Ah je te vois venir.

Le Renard tout doux
Que de craintes infondées. Je me permets d’insister, coquelet, pour ta gouverne : Le TAFTA n’est pas neuf. Il a 20 ans d’expérience. Là-bas en Amérique, on l’appelle NAFTA. C’est un traité d’accord commercial nord-américain entre le Mexique, les Etats-Unis et le Canada.

Le Vieux Coq, à part
Oui, oui. Usé, le taffetas nafta montre sa trame. Il est temps d’aller imposer ailleurs d’autres simili-tissages ficelle-soie.
Plus haut : Messire, ce NAFTA-là ne nous convainc point, d’autant plus qu’il affecte certain pays où l’on pousse mes congénères à des combats de mercenaires à l’issue desquels nul ne survit. Pas mêmes les entraîneurs.
Aujourd’hui, compère Renard, bien des Mexicains parmi les plus actifs et nécessaires, qui se faisaient tout un film ALENA il y a vingt ans, osent affirmer que le traité les a rincés, « exclus du développement. »
Et pourtant, disent-ils, « nous ne sommes pas pauvres : nous avons notre sang indigène, nos luttes sociales et notre culture, de la terre, un territoire, des semences, des connaissances, de l’organisation ; et surtout nous avons la dignité et le patriotisme qui permettent d’avancer grâce au travail. C’est pourquoi nous voulons vivre convenablement de la terre, sur nos terres, dans notre patrie. »

Voilà ce qu’affirment aujourd’hui les agriculteurs mexicains réunis.

Le Renard tout bas
J’enrage. Il s’informe, le bougre.

Le Vieux Coq, lançant son cri de guerre
Mais voici l’heure des poules et le sous-bois s’endort. Je m’en vais céans me mettre à l’abri.

Vite soufflons la lampe, afin
De nous cacher dans les ténèbres !

Nous poursuivrons demain ces échanges et nous parlerons de votre NAFTA ; je vous le promets. J’ai beaucoup de choses à en dire qui feront la matière d’un autre article. Mais en attendant, Renard mon ami, du haut de mon perchoir :

Je vois deux Lévriers. Ils vont vite, et seront dans un moment à nous.
Je descends : nous pourrons nous entre-baiser tous.

Le Renard qui détale

Adieu, coq avisé, ma traite est longue à faire. Nous nous réjouirons du succès de l’affaire une autre fois.

merci à http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/chanteclear-et-tafta-159725