TAFTA et CETA: Hollande et Fekl jouent notre souveraineté démocratique à Bratislava

Le 16 septembre prochain, les dirigeants européens se réunissent à Bratislava. Ils y aborderont les accords de libre-échange transatlantiques. La position de Geneviève Azam (économiste, conseillère scientifique d’Attac), Susan George (écrivaine, présidente d’honneur d’Attac) et Yannick Jadot (député européen, vice-président de la commission du commerce international au Parlement Européen).
 Le 16 septembre prochain, les dirigeants européens se réunissent à Bratislava. Ils y aborderont les accords de libre-échange transatlantiques : celui en négociation avec les Etats-Unis (TAFTA) et celui avec le Canada (CETA) qu’ils s’apprêtent à parapher le 27 octobre prochain lors d’un sommet à Bruxelles. Le 22 septembre, ce sont les ministres du commerce qui s’y colleront. Or, depuis plusieurs mois, le Président de la République et son Secrétaire d’Etat au Commerce expriment des réserves sérieuses, quoique contradictoires, sur la négociation du TAFTA. Empruntant successivement au registre altermondialiste sur la protection de l’environnement, les services publics, la sécurité des aliments ou le modèle agricole, comme au registre libéral sur l’absence d’engagement américain en faveur d’une libéralisation de leurs marchés publics, Mathias Fekl l’a annoncé publiquement : il ira à Bratislava demander l’arrêt des négociations.

Toutefois, grâce à une étonnante pirouette politique, les mêmes nous expliquent que le CETA n’a rien à voir avec le TAFTA. Mieux, le CETA serait l’anti-TAFTA ! Il y aurait d’un côté les méchants Yankees et, de l’autre, les gentils Canadiens à l’accent si sympathique lorsqu’ils sont québécois et surtout lorsqu’ils acceptent l’ouverture complète de leurs marchés publics ! Certains pourraient y voir une posture tactique : le CETA est à l’agenda des prochaines semaines alors que les négociations du TAFTA sont embourbées aux Etats-Unis et en Europe pour de longs mois, au moins jusqu’aux élections de 2017. Mais ce qui est certain, c’est que ces déclarations ne résistent pas une seconde à l’analyse.

Le TAFTA et le CETA ne sont pas des accords de libre-échange. A l’exception de l’agriculture –heureusement !-, le commerce est déjà libre entre les deux continents. Ces négociations visent à harmoniser les règles et les normes qui encadrent nos économies et nos sociétés, à en limiter l’impact sur les échanges de marchandises, de services et d’investissement. Mais ce que certaines entreprises et gouvernements considèrent comme des « obstacles techniques au commerce » sont souvent des choix de société, construits démocratiquement -parfois de haute lutte-, qui touchent à la protection de l’environnement, de la santé, des salariés et des consommateurs, aux libertés et aux droits fondamentaux. Le cœur de ces négociations est de savoir qui définit la règle pour l’économie et le vivre-ensemble : les citoyens, les collectivités territoriales, l’Etat, les institutions fédérales ou les firmes multinationales ? La régulation se construit-elle sur l’intérêt général ou les intérêts privés ? Ce sont bien nos espaces démocratiques, nos espaces de souveraineté individuelle et collective qui sont en jeu.

C’est peu dire que les salariés n’en sortent pas gagnants. Selon les chercheurs de l’Université de Tufts aux Etats-Unis, le TAFTA détruirait 600 000 emplois en Europe, dont 130 000 en France, alors que le CETA en détruirait 200 000 en Europe, dont 45 000 en France. Les citoyennes et les citoyens des deux côtés de l’Atlantique ne sont pas mieux lotis.

Le CETA abîmerait la santé en renforçant les brevets des firmes pharmaceutiques européennes au détriment de la politique canadienne en faveur des médicaments génériques. Le coût des médicaments pourrait augmenter de plus de 10% pour les Canadiens. Le CETA attaquerait les services publics en bloquant l’émergence de nouveaux services ou le retour sous contrôle public de services mal gérés par le privé.

Le CETA mettrait en danger les élevages européens de bœuf et de porc en octroyant au Canada des quotas d’importations de viande. Certes, leurs animaux ne pourront pour le moment être nourris aux hormones mais ils sont particulièrement mal traités et bourrés d’antibiotiques. C’est en fait l’ensemble de notre réglementation environnementale et sanitaire qui serait menacé puisque le Canada et les Etats-Unis ne reconnaissent pas le principe de précaution.

Le CETA est aussi totalement contradictoire avec la lutte contre le dérèglement climatique. Conséquence immédiate de la conclusion de l’accord, la Commission européenne a accepté, sans pénalité environnementale, l’importation des carburants canadiens issus des très polluants sables bitumineux.

En libéralisant les marchés publics, il limite la capacité des Etats et des régions à utiliser ces derniers pour relocaliser une partie de l ‘économie, encourager les entreprises qui misent sur la durabilité, font vivre nos territoires, fournissent des emplois de qualité. Plutôt que de casser cette capacité publique d’intervention, l’UE devrait s‘inspirer des Etats-Unis et développer également un Buy European Act, qui protège les marchés publics, et énoncer un pacte en faveur des PME.

Enfin, le CETA en accordant aux firmes le droit d’attaquer les Etats et les régions lorsque leurs profits sont menacés par des mesures de protection de l’environnement, de la santé, des consommateurs ou des salariés, le CETA leur transfère des pans entiers de notre souveraineté juridique et démocratique. Un seul exemple démontre le formidable danger de ces tribunaux privés d’arbitrage : la firme canadienne TransCanada vient d’attaquer les Etats-Unis et demande 15 milliards de dollars de dédommagement aux contribuables américains. Motif : en amont de la COP21 à Paris, Barack Obama a bloqué le projet climaticide d’oléoduc Keystone XL permettant l’exportation des sables bitumineux et autres pétrole et gaz de schiste vers les raffineries et ports américains.

Le CETA exposerait donc nos systèmes législatifs et nos pouvoirs exécutifs à la menace permanente des firmes canadiennes et des dizaines de milliers de filiales des groupes américains ou européens installées au Canada, qui ont trop souvent fait de la rentabilité financière leur objectif ultime et du chantage à l’emploi une arme de dérégulation. Alors que les Européens demandent à leurs dirigeants de remettre la main sur l’économie, ce dispositif est une effroyable machine à construire du moins-disant réglementaire et de l’impuissance politique.

Les gouvernements tentent bien de nous vendre un partenariat moderne face aux grands défis. Rien pourtant dans l’agenda de négociation ne traite des urgences globales : dérèglement climatique, droits sociaux, souveraineté alimentaire, condition animale, biodiversité, supervision bancaire et financière, élimination des paradis fiscaux, parité dollar-euro…

Au contraire, le CETA et le TAFTA accélèrent les dérives, les injustices et les absurdités de la mondialisation et de l’institution de la compétition comme norme suprême des sociétés. Ils mettent en péril les sociétés et la planète. Déjà, les conséquences les plus visibles et les plus violentes de la globalisation -la remise en cause des systèmes sociaux, les délocalisations, les cyclones, sécheresses et inondations liés au dérèglement climatique, les épidémies et le terrorisme – interpellent chacune et chacun d’entre nous. Pire, l’extension du marché à tous les recoins de la planète et à toutes les sphères de la vie dépossède les citoyens, détruit les institutions communes, produit une opacité terrible des processus de décision, dilue les responsabilités, aboutit à une perte brutale de repères et accélère la crise écologique. Elle génère des fractures favorisant et amplifiant les replis et les fondamentalismes identitaires.

Cette mondialisation est à rebours du projet européen que nous défendons. Les majorités politiques actuelles ont transformé ce projet de civilisation en une petite mondialisation libérale, productiviste, technocratique et austéritaire, source de conflits et d’injustices. Elle participe des désordres du monde et expose plus ses habitants qu’elle ne les en protège. Si l’Europe ne devient pas un puissant levier de régulation politique et de soutien aux initiatives sociales et citoyennes qui répondent aux défis de notre temps, alors les nationalismes et les extrêmes droites gagneront partout en Europe. Nous refusons la dilution d’un projet européen humaniste, écologiste et solidaire dans une libre-circulation absolue des marchandises, des services et des investissements dont nous contrôlerions les dégâts sur les femmes, les hommes et la nature en érigeant des murs et des barbelés et en construisant des camps.

Nous sommes altermondialistes, et les mondes que nous souhaitons prennent en compte les limites de la planète et font prévaloir la logique des sociétés, des cultures et des droits sur celle des États et des puissances économiques et financières. Alors que trop de responsables politiques bombardent les citoyens d’appels à la peur et à la haine, nous défendons plus que jamais des sociétés ouvertes, fondées sur la coopération entre les humains et avec la nature au lieu de la compétition, capables de décider démocratiquement les normes et règles du vivre ensemble selon les principes de la solidarité, de la durabilité et de la justice internationale.

Pour toutes ces raisons, comme 2000 villes et régions d’Europe qui se sont déclarées zones hors TAFTA/CETA, comme 3,5 millions d’Européennes et d’Européens qui ont signé la pétition STOP TAFTA/CETA, nous demandons à François Hollande et Mathias Fekl d’être cohérents et d’annoncer à Bratislava, au nom de la France, leur refus de poursuivre les négociations TAFTA et de signer le CETA.