L’ISDS : in or out TAFTA ?

La Commission européenne a clôturé une consultation publique sur un mécanisme critiqué par de nombreuses organisations citoyennes.Il s’agit de l’Investor-to-State Dispute Settlement (ISDS) ou en français le Règlement des Différends entre Investisseurs et États (RDIE), : un mécanisme qui permet à une entreprise d’attaquer en justice un État.

Voici un résumé de l’affaire.

Le 14 juillet, la Commission a clôturé une consultation publique sur ce mécanisme controversé, inclus dans le partenariat transatlantique, permettant à une entreprise d’attaquer en justice un État. Cent cinquante mille personnes ont répondu au questionnaire de la Commission. Maintenant elle planche sur les avis reçus, et en novembre peut-être elle nous donnera son bilan. Entre-temps la négociation sur ce mécanisme est interrompue.

Mais les critiques ne tarissent nullement. De nombreuses organisations citoyennes demandent que l’ISDS soit exclu. Et le 15 juillet au Parlement européen, il y a eu la même demande, notamment de Bernd Lange, député allemand du groupe socialiste, qui préside la commission du commerce international :

« S’il faut tirer un trait, dire qu’on veut un accord, mais sans ISDS, c’est ça la perspective. Les États-Unis ont signé un accord commercial avec l’Australie sans ISDS. Je crois qu’il faut prendre au sérieux les craintes de nos citoyens. »

Le même jour, à la fin du débat, Karel De Gucht, commissaire au commerce, répond aux députés à propos de ce mécanisme :

« Dès lors que nous aurons les résultats de la consultation, nous pourrons en débattre avec les États membres, le Conseil des ministres, le Parlement européen. Et la Commission tranchera quant au sort à réserver à l’ISDS. »

Notez qu’avant le lancement des négociations de l’accord, il n’y a pas eu de consultation publique sur ce mécanisme. Toutefois, dans une résolution européenne, l’Assemblée nationale française avait demandé :

« Que soit exclu du mandat le recours à un mécanisme spécifique de règlement des différends entre les investisseurs et les États pour préserver le droit souverain des États. »

Bien entendu, la France n’a guère décidé seule au Conseil des États membres. L’Allemagne était favorable à cette protection destinée aux investisseurs (maintenant l’Allemagne a changé d’avis). Et le Conseil a mis l’ISDS dans le mandat :

« L’accord comprendra un mécanisme de règlement des différends approprié, ce qui fera en sorte que les parties respectent les règles convenues. »

La Commission promet…

Jusqu’à présent, la Commission n’envisage pas d’exclure l’ISDS. Tout au plus, dans sa consultation, elle disait en mars :

« Compte tenu du grand intérêt des citoyens pour cette question, la Commission européenne organise une consultation publique à l’échelle de l’UE sur une éventuelle ligne de conduite en matière de protection des investissements et de RDIE, qui se caractérise par plusieurs éléments innovants décrits ci-dessous et que l’UE a l’intention d’adopter comme fil conducteur dans les négociations en vue du partenariat transatlantique. »

Sur une éventuelle ligne de conduite… Ajuster le tire…Rectifier la voie avec « plusieurs éléments innovants ». En tout cas, la Commission répète qu’elle veut garder fermement le droit des États de légiférer, tout en incluant ce mécanisme, dont les critères d’attaque en justice seront plus rigoureux, comme elle le mentionne dans une fiche de novembre 2013 [Pdf] :

La Commission travaille actuellement à apporter des améliorations sur deux fronts :
1) clarifier et améliorer les règles de protection des investissements.
2) améliorer les modalités de fonctionnement du système de règlement des différends.

L’ISDS sera-t-il exclu ?

Mattias Sant’Ana, professeur en droit international à l’Université catholique de Louvain, en Belgique, dit que la justice des États membres suffit à régler les litiges entre États et investisseurs. De même, Elvire Fabry, docteur en science politique, chercheur senior à Notre Europe de l’Institut Jacques Delors, nous a fait part :

« Les tribunaux nationaux européens et américains suffisent à régler les différends entre États et investisseurs. Traditionnellement, ce mécanisme, tel qu’il a été adopté, servait dans le cadre d’un accord entre deux pays, par exemple entre les États-Unis et un État dont la justice ne garantissait pas la protection des investisseurs. Maintenant, dans le partenariat transatlantique, avec l’Europe et les États-Unis nous avons affaire à des tribunaux fiables. Cet argument d’une défaillance des tribunaux américains ou européens ne justifie guère qu’un tel mécanisme soit intégré à l’accord. »

Alors, pourquoi diable inclure l’ISDS dans l’accord transatlantique si la justice de l’Union européenne et des États-Unis suffit ?

« Selon moi, la Commission européenne argumente qu’aujourd’hui il existe une disparité de traitements des investisseurs à cause notamment des accords bilatéraux que certains États membres, le plus souvent ceux de l’Est, avaient conclus avec les États-Unis avant que l’investissement ne devienne une compétence de l’Union européenne avec le Traité de Lisbonne. Résultat, cela n’assure pas les mêmes droits partout dans l’Union européenne. La Commission estime dès lors que le partenariat transatlantique nous permet d’élaborer un système juridique homogène pour tous les investisseurs et d’avoir un mécanisme plus sophistiqué dont les critères seraient plus rigoureux qu’auparavant », ajoute Elvire Fabry.

Il est vrai, neuf pays, avant d’adhérer à l’Union européenne, avaient conclu des accords bilatéraux avec les États-Unis, dont la Bulgarie, la Croatie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la République tchèque et la Roumanie.

Mais la Commission ne se justifie guère de la sorte. Vendredi 18 juillet, lors d’une conférence de presse sur la sixième négociation du partenariat transatlantique, le négociateur en chef du coté américain, Daniel Mullaney, avait répondu à la question d’un journaliste :

Est-ce que le gouvernement américain ne fait pas confiance aux tribunaux européens. Qu’est-ce qui motive votre intérêt pour ce mécanisme ?

— Ce n’est pas une question de confiance ou de méfiance, nous voulons des protections prévisibles pour les investisseurs dans le contexte international.

Néanmoins, dans son programme, Jean-Claude Juncker, le nouveau président de la Commission, se préoccupe de l’ISDS :

« Je n’accepterai pas que la juridiction des tribunaux des États membres de l’UE soit limitée par des régimes spéciaux applicables aux litiges entre investisseurs. L’État de droit et le principe de l’égalité devant la loi doivent s’appliquer aussi dans ce contexte.»


One Comment on “L’ISDS : in or out TAFTA ?”

  1. raimanet dit :

    A reblogué ceci sur raimanet